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oblige : pour trouver à se marier dans le monde où se recrutent les gendres de l’Institut, elles courent à l’américaine les bals de charité en hiver, les casinos en été. Elles font des prodiges d’économie et d’adresse pour être mises comme des filles riches ; elles taillent et cousent elles-mêmes, de leurs honnêtes doigts de fée, des robes qui paraîtront venir de chez le couturier à la mode ; elles vont et viennent tout le jour, en habits de Cendrillon, par le salon, par la salle à manger, par le cabinet de leur père, l’une la planche à repasser sous le bras, l’autre un patron de corsage à la main, pour préparer leur déguisement du soir. Et ce mouvement d’ouvrières qui vont se costumer en princesses, de ménagères qui vont donner le change sur leurs vertus domestiques, ce trottinement, ce froufrou, ce brouhaha troublent familièrement la poussière des collections préhistoriques : pour céder la table à une jupe dont il faut tuyauter les volans, des silex vont cogner dans le pêle-mêle de la bibliothèque un malheureux pain de quatre livres, et le coupon de tulle est retenu, pour qu’on le rogne plus sûrement, par trois tomates fossiles. Hélas ! plus les pauvres filles travaillent pour attirer les maris, et plus elles les éloignent ; à jouer la richesse, elle ne l’acquièrent pas, mais elles paraissent coûteuses ; leur courageux artifice tourne justement contre elles, et la robe si bien faite effraie les prétendans qui ne l’ont pas vu faire. Cependant les hivers passent, les parens se désolent et les jeunes filles se fanent : les années de bal comptent double, et bientôt les aînés croient connaître depuis si longtemps ces valseuses qu’ils détournent leurs cadets de les inviter à danser, — et après quelques saisons encore brûlées dans ces fêtes et quelques arrière-saisons traînées dans les villes d’eaux, Mlle Petitbourg rejoindront leur tante dans le musée mélancolique des choses qui n’ont plus d’âge, comme les coquillages fossiles et les tomates préhistoriques !

N’est-ce pas, je vous le demande, un tableau intéressant et un sujet de comédie qui va loin, plus loin qu’il ne paraît d’abord, dans la critique des mœurs du jour ? M. Dreyfus, pour le traiter, avait tout le nécessaire : j’en retiens comme preuves ces détails qui marquent les facultés les plus rares d’observation et même d’expression scénique. Pourquoi faut-il que M. Dreyfus, homme de lettres donc, et de lettres dramatiques, se soit timidement inquiété de se montrer homme de théâtre, au sens où prennent ce mot les écoliers de M. Scribe ? Il a failli gâcher une excellente matière par une économie de scénario qui se prétend habile et ne peut l’être : car, ayant un bagage de vérités morales, il est gêné pour évoluer sur ce terrain coupé d’embûches où ceux qui ne portent rien manœuvrent aisément. Il se dépense et se disperse dans des scènes hachées menu, dont il pouvait se passer ; ensuite il paraît languir dans des scènes indispensables. Au premier