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allégorique. La Flécharde aussi excite d’abord notre sympathie, parce qu’elle semble une créature que nous pourrions rencontrer aux champs; et croyez que cette sympathie se soutiendrait davantage si cette mère n’était qu’une mère, si bientôt nous ne nous apercevions qu’elle est « la mère » par excellence ou la maternité; si elle variait un peu plus ses sentimens et ses discours, comme ferait une personne humaine, — tout en restant plus simple, comme une paysanne qu’elle serait, — au lieu d’avoir toujours à la bouche, ainsi qu’une figure de rébus, cette devise à écrire au long d’une banderole : « Je suis la mère, rendez-moi mes enfans! » Et cela est si vrai que, dans ce drame où les paroles éloquentes abondent, aucun mot ne fait plus de plaisir que celui de Georgette, l’enfant à peine sevrée, lorsqu’au fort du combat, entendant la mousqueterie, elle frappe joyeusement ses petites mains l’une contre l’autre en s’écriant : « Poum ! poum! » Pourquoi? Parce que ce trait est bien un trait d’enfant qui, dans cette situation, fait sourire et presque pleurer; parce que les enfans, pour Victor Hugo, sont toujours des enfans, des êtres concrets, des créatures faites de chair rose et tendre, même quand il les charge de représenter cette abstraction : l’enfance ; parce que le poète, en dépit qu’il en ait, et même quand, pour le reste, il se fait philosophe, ne perd pas l’art d’être grand-père.

De la Gaîté à l’Odéon et de Victor Hugo à M. Abraham Dreyfus, je n’entreprendrai pas de mesurer la distance : l’Odéon est bien loin et M. Dreyfus est modeste; il me dispensera de cette tâche. Pourtant, de sa comédie en quatre actes, l’Institution Sainte-Catherine, représentée sur ce théâtre, — qui n’est le second Théâtre-Français que parce qu’il n’y en a pas un troisième, — ce que je veux louer avant tout, c’est justement l’humanité, c’est la vraisemblance des caractères, l’observation malicieuse et minutieuse des mœurs. Sous son titre plaisant, la comédie de M. Dreyfus est bien une comédie et non pas un vaudeville : nous y voyons figurer une famille de types empruntés tout vifs à la bourgeoisie contemporaine. Par le détail du dialogue et par celui de la mise en scène, l’auteur nous explique l’humeur de chacun, sa façon d’être et de sentir, ses antécédens, ses habitudes présentes; il prend ses personnages et les montre au cours de leur vie quotidienne ; il nous introduit dans l’intimité de leur maison et de leur âme. « L’institution Sainte-Catherine, » ou la famille Petitbourg, — ainsi surnommée parce qu’il s’y trouve deux filles à marier et une tante désespérément célibataire, — la famille Petitbourg vit au même titre que la famille Joyeuse, inscrite à l’état civil par les soins de M. Alphonse Daudet. Les filles du savant Petitbourg, paléontologiste et membre de l’Académie des sciences, sont juste aussi peu dotées que les filles de l’expéditionnaire Joyeuse. Mais, hélas ! elles ne vivent pas, comme celles-ci, dans le milieu qui sied à leur fortune. Comme noblesse, gloire