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ont toujours trouvé des éditeurs pour les publier et des panégyristes pour les-acclamer : le scandale même qu’ils provoquaient leur fut un puissant véhicule. Gémirons-nous sur la pauvreté d’un artiste auquel, dès le premier pas dans la carrière, Paganini vient offrir comme encouragement, une somme de vingt mille francs ? Ses luttes ? mais il n’est guère de musiciens qui n’en aient soutenu de semblables, sans compter ceux qui sont morts de faim ou ceux qui, comme Schubert, en furent réduits à ne composer longtemps que de mémoire, faute de quelques sous pour s’acheter une main de papier réglé. Chacune des symphonies de Berlioz s’est produite à son heure ; lorsque la fantaisie l’a pris d’écrire un opéra, il a rencontré sur son chemin non pas de vulgaires librettistes, mais des poètes, de vrais poètes ; Auguste Barbier, l’auteur des Iambes, et Léon de Wailly, le traducteur d’Hamlet, et le plus compétent de nos shakspeariens français avant Émile Montégut. Feuilletonniste, le Journal des Débats l’accueille à bras ouverts, le gouvernement lui ouvre l’église des Invalides pour son Requiem à la mémoire des victimes de Fieschi : « Vous me manquiez, mon cher Ferrand, c’est tout à fait ce que vous rêviez en musique sacrée. C’est un succès qui me popularise. C’était le grand point ; l’impression a été foudroyante sur les êtres de sentimens et d’habitudes les plus opposés… l’épouvante produite par les cinq orchestres et les huit paires de timbales accompagnant le tuba mirum ne peut se peindre : une des choristes en a pris une attaque de nerfs. Vraiment c’était d’une horrible grandeur. Ah ! Ferrand, c’eût été un beau jour pour moi, si je vous avais eu à mon côté pendant l’exécution ! Le duc d’Orléans a été aussi très vivement ému. On parle au ministère de l’intérieur d’acheter mon ouvrage, qui deviendrait ainsi propriété nationale. M. de Montalivet n’a pas voulu me donner les quatre mille francs tout secs ; il y ajoute, m’a-t-on dit aujourd’hui dans ses bureaux, une assez bonne somme. À présent, combien m’achètera-t-il la propriété de ma partition ? Ce succès a joliment arrangé mes affaires, et le tour de l’opéra arrivera sans doute bientôt ! » Non, encore une fois, Berlioz n’a jamais été l’être, malheureux et persécuté qu’il croit ; c’est un malade, un misanthrope, un effaré, un démoniaque : il a prodigieusement souffert, je le concède ; mais la douleur est une question de nerfs ; chacun la ressent à sa manière : l’un va pousser des cris de paon écorché vif, quand tel autre se taira qui n’en aura pas moins pâti. Martyr de lui-même, à la bonne heure ! point victime. Il a aimé, produit des œuvres supérieures dont plusieurs resteront, il a, comme le Ruy-Blas du poète, « marché vivant dans son rêve étoile ; « pourquoi le plaindre ?

F. DE LAGENEVAIS.