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suppléer si elle eût été animée d’un instinct patriotique ou de quelque souci du bien commun. Mais la constitution de la diète ne permettait guère à de tels sentimens ni de naître ni de se faire jour. Tout semblait y avoir été disposé, au contraire, pour y entretenir la méfiance des états, grands et petits, les uns contre les autres; ou, si les grands s’entendaient, c’était pour annuler et opprimer les petits. La diète était divisée en trois collèges : celui des électeurs, que formaient à eux seuls les neuf souverains à qui appartenait le droit de pourvoir à la vacance du trône impérial; celui des princes, dont le nombre n’était pas de moins de cent ; et enfin celui des villes libres, qui se composait de cinquante et un députés. On votait par ordre, de sorte que les deux collèges princiers décidaient à eux seuls de toutes les résolutions. Il faut ajouter que les puissans électeurs, comme ceux de Brandebourg, de Saxe et de Bavière, avaient entrée dans le collège des princes au titre des souverainetés qu’ils pouvaient posséder en dehors de leur électorat et y disposaient d’autant de suffrages qu’ils réunissaient sur leur tête de principautés diverses. En revanche, les princes dont le trésor était mal garni se cotisaient pour entretenir plusieurs ensemble un seul représentant à frais communs. Dans de telles conditions, tous débats étaient illusoires, sauf ceux qui pouvaient s’élever entre les prétentions rivales des puissances véritablement dignes de ce nom, lesquelles en général préféraient régler leurs différends par d’autres modes que la voie parlementaire. L’issue de toutes les discussions étant prévue d’avance, on prenait d’ordinaire assez peu de souci de les provoquer.

Sur un seul point, à la vérité, le partage des voix aurait pu être possible et la contestation sérieuse, c’était sur les matières religieuses, car les intérêts de caste ou d’ordre pouvaient alors faire place à d’autres supérieurs et difficilement répartis. Mais ici, le danger étant rée let souvent éprouvé, tout était prévu pour le prévenir. De crainte de voir se renouveler les déchiremens des siècles précédens et les luttes sanglantes qui les avaient suivis, On avait laissé s’introduire depuis la paix de Westphalie une pratique prudente jusqu’à l’excès.

« Dans toutes les matières qui touchaient à la religion (dit un écrivain distingué auquel nous devons le meilleur exposé que je connaisse de l’état de l’Allemagne au XVIIIe siècle), le vote par collège était suspendu et les deux partis religieux, le corpus catholicum et le corpus evangelicum, restaient en face l’un de l’autre, formant deux corporations pleinement indépendantes et armées l’une et l’autre d’un veto inconditionnel contre toutes les résolutions de la diète qui leur paraissaient incompatibles avec leurs intérêts religieux. Quant à savoir ce qui constituait une matière religieuse, c’est de quoi chaque parti restait juge, d’où résultait nécessairement