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la vie ou plutôt quand on y retombe, combien on désire trouver ouverts les bras de l’amitié ! » Cet air-là, nous le connaissons ; Scribe a fait quelque part des paroles là-dessus :

Point de chagrin qui ne soit oublié,
Entre les arts et l’amitié.


Quand le cœur déchiré et flétri recommence à battre, avec quelle ardeur il cherche un autre cœur qui l’aide à se réconcilier avec l’existence en attendant mieux ! « Oui, Camille est mariée avec Pleyel… J’en suis bien aise aujourd’hui. J’apprends par là à connaître le danger auquel je viens d’échapper. Quelle bassesse ! quelle insensibilité ! quelle vilenie !.. Oh ! c’est immense ! c’est presque sublime de scélératesse ! »

Non moins orageux, mais plus viril fut son amour pour miss Smithson. C’est une histoire toute baignée de larmes et naturellement traversée encore de cris d’angoisse et de scènes d’empoisonnement non suivies d’effet : poisoned in gest ! comme dit Hamlet en jouant de l’éventail aux pieds de la vraie Ophélie ; c’est toute une symphonie à la Berlioz que cet amour avec Henriette Smithson, un drame pathétique et fantastique, tout ce que vous voudrez ; mais que d’héroïsme dans cette légende ! « Quelle destinée sera donc la nôtre ?.. Le sort nous a évidemment faits pour être unis ; je ne la quitterai pas vivant. Plus son malheur deviendra grand, plus je m’y attacherai. Si elle perdait, avec son talent et sa fortune, sa beauté, je sens que je l’aimerais également. C’est un sentiment inexplicable. Quand elle serait abandonnée du ciel et de la terre, je lui resterais encore aussi aimant, aussi prosterné d’amour qu’aux jours de sa gloire et de son éclat. mon ami, ne me dites jamais rien contre cet amour ! il est trop grand et trop poétique pour n’être pas respectable à vos yeux. » Et comme il l’écrit, il le fera : « Je suis marié enfin ! Après mille et mille peines, oppositions terribles des deux parts, je suis venu à bout de ce chef-d’œuvre d’amour et de persévérance : malgré tout, nous avons l’un et l’autre écouté la voix de notre cœur, qui parlait plus haut que toutes ces voix discordantes, et nous nous en applaudissons aujourd’hui. » Aucune responsabilité ne l’épouvante dans le présent et dans l’avenir, ni les tribulations d’un ménage précaire et tourmenté, ni les coups du sort ne décourageront sa tendresse et son dévoûment. De pareilles résolutions, avouons-le, ne sont point d’une âme ordinaire, fou peut-être, mais devant un fou de cette espèce les honnêtes gens n’ont qu’à s’incliner.

Berlioz a-t-il été, après tout, si malheureux qu’il se le figurait, et que plusieurs encore se l’imaginent sur la foi de ses emportemens et de ses divagations ? Ses ouvrages, tant contestés qu’ils aient pu l’être,