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La reprise de la Vestale par Mlle Falcon va avoir lieu dans quinze jours. Cela fera un autre effet que Don Juan parce que c’est véritablement un grand opéra, écrit et instrumenté en conséquence, et en outre parce que c’est la Vestale. » On le voit, c’est toujours le même argument ; celui qu’on employait hier pour faire obstacle au chef-d’œuvre de Verdi, que l’o, réédite en ce moment contre le Barbier de Séville, et dont on se servira l’année prochaine contre le Fidelio de Beethoven. « Pourquoi jouer les ouvrages des autres ? » en cela se résume toute la discussion. « Chacun prend son plaisir où il le trouve, » dit un proverbe : voilà ce que Berlioz dans son intolérance n’admettait pas. « Et il y a des polissons qui se sont amusés dernièrement, à la barrière du Combat, à dépenser 1,500 francs pour faire dévorer vivans, en leur présence, un taureau et un âne par des chiens ! ce sont des élégans du Café de Paris, œ sont ces messieurs qui se divertissent ! » Assurément ces 1,500 francs-là eussent été beaucoup mieux employés à faciliter une exécution de la Symphonie fantastique ; mais que sert de philosopher ainsi à tout bout de champ dans le vide et de se répandre en diatribes où la vraie pitié n’entre pour rien ! Les mauvais instincts de l’homme en général varient très peu dans la manière de s’exprimer, et quand leur jalousie et leur intérêt sont de la partie, il faut s’attendre à les retrouver tous d’accord, les vétérans et les nouveaux, les grands et les petits, les valeureux et les imbéciles. Ce que Berlioz ne nous dit pas, c’est que cette fameuse reprise de la Vestale, qui devait obscurcir de tant d’éclat et le pauvre Mozart et son Don Juan, fut une défaite inoubliable et que tout y périt fors l’honneur. « Guillaume Tell ?.. je crois que tous les journalistes sont décidément devenus fous ; c’est un ouvrage qui a quelques beaux morceaux, qui n’est pas absurdement écrit, où il n’y a pas de crescendos et un peu moins de grosse caisse, voilà tout. Du reste, point de véritable sentiment, toujours de l’art, de l’habitude, du savoir-faire, du maniement du public. Ça ne finit pas, tout le monde bâille… J’en parlais avant-hier à l’orchestre avec M. de Jouy. On donnait Fernand Cortez, et, quoique l’auteur du poème de Guillaume Tell, il ne parlait de Spontini que comme nous, avec adoration. L’auteur de la Vestale et de Fernand Cortez écrire pour le public !.. des gens qui applaudissent le Siège de Corinthe, venir me dire qu’ils aiment Spontini ! » Ce fanatisme était-il en somme si sincère ? Je mêle suis souvent demandé, et le résultat de mon enquête est que cette manie avait un double sens. Berlioz admirait la Vestale comme nous l’admirons tous, mais son excès d’enthousiasme, ses hyperboles et ses frénésies lui venaient d’un mouvement de révolte contre les succès de Rossini. Cet amour hystérique pour la Vestale était fait avec de la haine, chose triste à s’avouer et bien moins rare, hélas ! qu’on ne le soupçonne.

Heureusement pour elles, ces Lettres intimes nous offrent sur Berlioz d’autres renseignemens que ceux dont sa musique est l’objet ; et si