moi : c’est colossal, monstrueux, horrible ! Un artiste de l’Opéra disait, le soir de ma répétition, que cet effet dans l’ouverture des Francs-Juges était ce qu’il avait entendu de plus extraordinaire. — Oh ! après Beethoven, reprit son camarade. — Après rien, a-t-il répondu. » Le malheur veut que Berlioz n’ait de ces convulsions d’enthousiasme que pour ses propres œuvres. Sortez-le des Francs-Juges, de la Symphonie fantastique, d’Harold, de Benvenuto Cellini, des Troyens, et tâchez de savoir ce qu’il admire ; il vous nommera la Vestale et puis après Fernand Cortez : Spontini ! Spontini for ever ! Quant aux maîtres de l’heure actuelle dont les théories ou la célébrité lui donnent sur les nerfs, ne l’interrogez point à leur sujet : Rossini est un Figaro vulgaire, Cherubini un illustre vieillard, Halévy un polisson. « Je n’ai pas voulu, malgré l’invitation de M. Bertin, rendre compte de cette misérable Juive ; j’avais trop de mal à en dire ; on aurait crié à la jalousie ! » Erreur, ce n’est pas à la jalousie qu’on eût crié, c’est à l’impertinence et à l’extravagance ! Ces Lettres sont de continuelles contemplations, déplorations et lamentations sur lui-même et des expectorations sur tout le reste de l’humanité. On s’étonne du singulier rôle que le correspondant joue en cette affaire. Quand Berlioz croit avoir des raisons pour ne pas émettre dans son journal telle opinion dont la responsabilité pourrait ensuite le gêner, il confie prudemment ce soin à son ami Humbert Ferrand et lui dicte la manière de s’y prendre ; ce qui prouverait que souvent beaucoup de diplomatie et de calcul peut s’allier à beaucoup d’intempérance de gestes et de voix, et que les plus furieux ne sont pas les moins malins. « Écrivez quelque chose sur la mise en scène à l’Opéra de Don Juan ; mais dites ce que ma position ne m’a pas permis d’avouer, que tous les artistes sans exception, et Nourrit surtout, sont à mille lieues au-dessous de leurs rôles ; Levasseur trop lourd et trop sérieux, Mme Falcon trop froide, Mme Damoreau froide et nulle comme actrice et insupportable par ses sottes broderies. Touchez sur les ballets ; ajoutez qu’ils sont d’une musique infâme ; vous ne pouvez en nommer l’auteur, son nom étant resté à peu près secret. » Musique infâme ! un intermède dont les symphonies et les sonates de Mozart avaient fourni chaque morceau. Vilenie ! cette mosaïque, précieusement ouvragée par la main d’Auber ! Et c’est lui, Berlioz, qui se scandalise, lui qui, demain, n’hésitera pas à renier tous ses principes en orchestrant l’Invitation à la valse, en écrivant, proh pudor ! des récitatifs pour le Freischütz ! Ah ! j’aurais voulu voir Weber assistant à ce massacre et récriminant à son tour, mais à bon droit cette fois, contre le musicien capable d’un pareil sacrilège ! Continuons à surveiller le faux bonhomme, et voyons-le vaquer sous cape à ses petites combinaisons d’intérêt : « Dites quelque chose sur l’absurdité de la direction qui s’amuse à dépenser son argent à remonter des ouvrages connus de tout le monde et ne sait pas nous donner un ouvrage nouveau digne d’intéresser les amis de l’art.
Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/216
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.