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M. Perrin, ne fuT jamais joue. Ce Justin Cadeaux était un brave homme, chef de copie à l’Opéra et peu fortuné. L’idée, ingénieusement exploitée depuis, et par M. Gounod dans le Médecin malgré lui et par M. Poise dans l’Amou)’médecin, de transformer en opéras comiques les petites pièces de Molière, — l’avait entrepris le premier. Meyerbeer, Auber, Mermet s’intéressaient à lui, et sa miniature passait presque pour un bijou ; mais que voulez-vous ? M. Perrin avait quitté l’Opéra-Comique, et c’était Nestor Roqueplan qui tenait la place. Personne plus que cet homme d’esprit, le plus aimable et le plus abominable des directeurs, ne s’entendait à éconduire un solliciteur, « Je vous conseille, monsieur, répondait-il un jour à Maillart, d’aller, en sortant d’ici, vous jeter par la fenêtre d’un cinquième étage, vous et votre partition. Si vous ne vous tuez pas du coup, vous passerez indubitablement pour un phénomène ; les journaux et le public s’occuperont de vous et à ce titre moi je vous jouerai, mais comme phénomène, entendons-nous bien, et jamais comme prix de Rome ! » Où l’auteur des Dragons de Villars avait échoué, le pauvre Justin Cadeaux ne pouvait s’attendre à meilleure chance. Auber voulut s’en mêler, et Roqueplan lui ferma la bouche en lui disant : « Qu’est-ce que cela vous fait que je monte le Sicilien ? Vous m’assurez que Justin Cadeaux est un bon enfant, mais Cadet-Roussel aussi est bon enfant, et vous ne me demandez pas de jouer ses opéras comiques ! » Ce que cette partition est devenue, Dieu le sait, mais en revanche, nous savons tous que le musicien est devenu fou et qu’il est mort à l’hôpital. Alas poor Yorick ! Une mélancolique et sombre histoire que celle-là et dont les rythmes légers et tendres, les élégances harmoniques de M. Sauzay, appliquant à la partie musicale du Sicilien les ressources variées de l’art moderne, vont heureusement nous distraire, car ce galant volume a double emploi ; le lettré s’en accommode aussi bien que l’amateur de musique : moliéristes et mozartistes y trouvent leur compte, et si vous avez les deux dilettantismes, après l’avoir lu au coin du feu, vous goûterez un égal plaisir à le déchiffrer au piano.

Ce n’est pas que ces Lettres intimes de Berlioz qu’on vient de publier manquent d’un certain intérêt ; seulement, attendez-vous à les apprécier plus ou moins selon le degré de sympathie ou d’admiration que le personnage vous inspire. Berlioz, à son habitude, n’y parle que de lui, et cela d’un entrain si passionné, si excessif, qu’il semble qu’en dehors des choses qui le touchent rien n’existe. Il n’y a d’autres amours ici-bas que les siennes, d’autres amis que ses amis ; il ne connaît, ne voit, n’entend que sa musique ; l’arc-en-ciel est l’archet de son violon ; le vent fait aller son orgue, le temps bat la mesure ; il a des soubresauts d’enthousiasme pour lui-même à s’en arracher des touffes de cheveux. « J’aurais voulu pouvoir m’écrier, oubliant que c’était de