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mais nulle force régulière ne pouvait être puisée dans cette autorité déconsidérée pour une action d’intérêt général ou de bien public.

Enfin il y avait bien également une armée impériale dont l’empereur avait le droit de nommer le commandant supérieur et l’état-major-général. Mais, grand Dieu, quelle armée ! En temps de paix, quarante mille hommes, vingt-huit d’infanterie, douze de cavalerie. C’était le maximum sur le papier, qui en cas de guerre pouvait être porté à cent vingt mille, disent les historiens. En fait, on ne vit jamais plus de vingt mille soldats impériaux réunis dans un même camp ou figurant sur un même champ de bataille. À la vérité, pour l’honneur de l’étendard du saint-empire, il valait mieux que de telles réunions eussent lieu le moins souvent possible, car leur aspect presque grotesque présentait une image singulièrement expressive de la confusion et du chaos. Non-seulement chaque régiment, mais chaque compagnie était formée du contingent de plusieurs états, et chacun d’eux gardait son uniforme et son armement particulier. Il y avait des états dont tout le contingent se bornait à deux hommes équipés à leurs frais, mais aussi à leur mode. Le droit des états s’étendait (toujours proportionnellement à leur importance) à la nomination des officiers inférieurs, en sorte que, dans la même compagnie, le capitaine pouvait être nommé par un comte, le premier lieutenant par une ville, le second par un chef d’ordre religieux, au besoin même par une abbesse. Puis, pour n’offenser et n’inquiéter personne, les officiers, protestans et catholiques, devaient se trouver partout en nombre égal occupant des grades équivalens. En cas d’appel imprévu, chaque prince ayant à veiller à la mobilisation de sa petite troupe, on juge combien la rencontre devait s’opérer exactement au rendez-vous. La même inexactitude régnait dans le paiement de la solde, qui restait au compte des divers états dont la contribution arrivait lentement à la caisse commune. Ce dernier point avait des conséquences plus importantes encore que l’irrégularité de certains paiemens ; car ce n’était pas pour l’armée seulement, c’était pour toute dépense d’intérêt commun que le nerf de la paix aussi bien que de la guerre faisait défaut. De finances impériales, disons le mot, il n’y en avait pas. Chaque souverain était tenu de fournir un abonnement sans qu’aucun moyen fût prévu pour le contraindre à l’acquitter, et les deux forteresses qui gardaient l’entrée de l’empire, Kehl et Philippsbourg, tombaient en ruines parce que, n’appartenant à personne, personne aussi ne voulait fournir les quelques milliers d’écus annuellement nécessaires à leur entretien.

Ce qui manquait à l’unité et à l’action du pouvoir exécutif, l’assemblée qui se réunissait périodiquement à Ratisbonne aurait pu y