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aux appétits sensuels, au culte imbécile et lâche de la force, à la tyrannie envers le faible, et toujours elle unira les férocités aux grimaces, les perfidies aux courbettes. Il avait choisi ses compagnons parmi les noirs qu’on lui avait le plus recommandés. Il y avait dans le nombre des quimboundos et des quimbarés, c’est-à-dire des nègres sauvages de l’intérieur et des nègres à demi civilisés, venus de la côte de Benguela. Un de ces quimbarés, qui ne se doutait pas que le maître l’écoutait, se vanta un jour qu’il avait capturé récemment une petite fille dans le Bihé, que sa prisonnière l’obsédant de ses cris, il avait tenté de lui imposer silence en lui coupant une oreille, que comme elle s’obstinait à geindre, il lui avait lancé sa hachette dans la poitrine de façon à ne pas la tuer du coup et à faire durer son agonie. Il ajouta qu’il s’en était bien repenti, les parens de l’enfant, qui la croyaient encore vivante, étant venus lui offrir pour sa rançon trois esclaves avec lesquels il aurait pu commencer des affaires. L’opinion très arrêtée du major est « que dans le cœur de l’Afrique il ne faut mettre sa confiance en rien ni en personne, tant que des preuves irréfutables et réitérées ne vous ont pas démontré qu’elle peut être accordée à quelqu’un ou à quelque chose. » Il en conclut que quiconque se propose de faire un voyage de découverte ou d’agrément sur les bords de la Cuando ou du Zambèze, fùt-il l’homme le plus évangélique du monde, fera bien d’apporter d’Europe une grande quantité de calicot, mais qu’il peut y laisser les fleurs de l’âme, attendu que cet article ne serait pas de défaite et ne trouverait aucun débit.

Assurément il y a nègres et nègres ; on aurait tort de les mettre tous de niveau. De tribu à tribu les différences sont grandes, et ce ne sont pas les Africains les plus noirs qui sont les plus barbares. les Moucasséquérès, qui habitent dans le voisinage de la Cuando et que le major Pinto rattache à la race hottentote, ont le teint fort clair, avec une nuance de jaune terreux qui illumine leur laideur et la rend effroyable. Le lion et le tigre ont leurs cavernes; les Moucasséquérès, qui sont les vrais sauvages de l’Afrique tropicale du Sud, ne construisent aucune demeure ou rien qui y ressemble; ils naissent, grandissent et meurent à l’ombre des bois. Insensibles à tout, d’une apathie que rien ne peut dégourdir, étrangers à toutes les curiosités de l’esprit comme à toutes les industries de la main, incapables de cultiver la terre et de se procurer aucun outil, s’il est vrai que l’indifférence soit le sommeil de l’âme, leur vie se passe à dormir. Quand la faim les réveille, ils se mettent en quête de racines, de miel ou de gibier, et, à peine repus, ils recommencent à sommeiller les yeux ouverts ou fermés. La distance est-elle plus grande d’un singe à un Moucasséquéré ou d’un Moucasséquéré à Périclès, à Socrate ou à Phidias? C’est une question dans laquelle nous n’avons garde de nous engager, il y aurait là de quoi parler beaucoup.