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Berlin, jusqu’à la domination ecclésiastique à Mayence et à Cologne, et jusqu’à la liberté républicaine dans les villes impériales. Puis, dans l’intérieur de ces unités qui n’étaient même pas des atomes, étudiez la divisibilité poussée à l’infini par la coexistence de quarante mille seigneuries et de presque autant d’abbayes, de maîtrises, d’ordres ou de chapitres, tous dotés d’immunités ou exerçant des juridictions privilégiées, et vous aurez à peine une idée du spectacle d’incohérence et de confusion que présentait l’Allemagne, en plein XVIIIe siècle, à l’heure où l’unité nationale était déjà fortement constituée en France sous la main d’une administration puissante, et librement représentée en Angleterre par un parlement groupé autour d’un trône populaire.

Cet étrange amalgame avait pourtant encore la prétention de former un corps organisé, doté des élémens principaux qui constituent un gouvernement. Il y avait un pouvoir exécutif central personnifié dans l’empereur, un pouvoir législatif siégeant à Ratisbonne dans une diète élective. Mais ces institutions, en supposant (ce qui est douteux) qu’elles eussent jamais eu une consistance sérieuse, n’étaient plus que l’ombre d’un grand souvenir. Depuis longtemps, j’ai déjà eu l’occasion de le dire, la dignité impériale ne possédait plus en propre aucune puissance et ne se faisait respecter qu’en empruntant celle du prince qui en était revêtu. Les juristes disaient bien encore que toute autorité émanait de l’empereur, comme toute lumière descend du soleil, mais ils n’avaient garde d’ajouter que, si l’astre conservait quelque éclat, ses rayons avaient perdu toute chaleur et toute force. En fait, on ne comptait que deux attributions dont l’empereur eût conservé l’usage discrétionnaire, la nomination de certains bénéfices et la collation de titres honorifiques. Pour tout autre exercice d’autorité, il lui fallait demander le concours, et par conséquent subir le contrôle, de ses puissans subordonnés.

Pour commencer, à peine nommé et pas encore couronné, il recevait de ses électeurs une formule de serment à prêter, rédigée d’avance en plusieurs articles qui portaient le nom significatif de capitulations. Par le premier de ces engagemens, il s’obligeait à ne rien faire pour rendre l’empire héréditaire dans sa famille. Il jurait ensuite de respecter tous les droits et privilèges des princes, même les plus exorbitans ; car dans le nombre figurait le droit de faire des traités soit entre eux, soit même avec les puissances étrangères, sous la seule réserve de ne rien stipuler qui pût léser les intérêts de l’empire : condition aussi aisée à éluder que malaisée à définir. Contraint de supporter ainsi de la part du moindre de ces souverains une indépendance qui ruinait sa propre autorité, l’empereur n’en restait pas moins tenu de prêter main-forte à la leur, de les aider à