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l’impression laissée par le génie de Gustave et un instant réveillée par la témérité de Charles XII n’était pas encore effacée. Eclairée de ce reflet de gloire, la Suède faisait à toute l’Europe une illusion qu’elle partageait elle-même, tandis que la Russie ne possédait pas encore tout le secret de sa propre puissance. Enfin, bien que la fortune n’eût pas en dernier lieu favorisé la Suède et que ses possessions fussent déjà réduites, la conquête ne lui avait pas encore arrache la Finlande, et par cette porte, toujours ouverte, une armée suédoise, presque sans sortir de chez elle, pouvait arriver jusqu’en vue de Saint-Pétersbourg. Quelques heures de bombardement suffisaient pour réduire en poussière le monument inachevé où le fils d’Alexis avait laissé gravée dans la pierre et dans le marbre l’empreinte de son génie. Décider la Suède à entrer au plus tôt en hostilité avec la Russie, c’était de toutes les instructions du plénipotentiaire français, sinon l’article le plus important, au moins celui dont Frédéric réclamait avec le plus d’ardeur l’accomplissement, car il y voyait une condition indispensable pour maintenir en tranquillité le nord de l’Allemagne.

Enfin ce n’était pas à l’Allemagne seule qu’il fallait songer, car Marie-Thérèse, grande-duchesse de Toscane et duchesse de Milan, n’était pas seulement une princesse allemande, et ce n’était pas au-delà du Rhin que se trouvait la partie de son patrimoine la plus enviée, la plus précieuse et aussi la plus vulnérable. C’est au pied des Alpes, dans les riches plaines de la Lombardie, que depuis deux siècles les armées françaises et germaniques avaient pris l’habitude de venir se heurter et mêler leur sang dans les ondes du Pô. Le théâtre de tant de luttes passées ne pouvait rester inoccupé dans la nouvelle. Si la France, appelée ailleurs, n’y pouvait cette fois paraître, elle devait au moins s’assurer que d’autres l’y remplaceraient. A cet égard, sa sécurité pouvait être complète, car c’était une tâche que l’Espagne était toute prête à remplir, n’ayant jamais renoncé que de mauvaise grâce à ce lot de la succession de Charles-Quint; et l’Italienne qui régnait à Madrid n’était pas d’humeur à laisser échapper une si favorable occasion de faire revivre d’anciennes prétentions. Je n’irai pas si loin que Frédéric qui, pour le plaisir sans doute d’aligner des antithèses, veut bien accorder à l’ambitieuse Farnèse la fierté d’un Spartiate, l’opiniâtreté d’un Anglais, la finesse italienne et la vanité française. Mais, sans donner dans de telles exagérations, il faut avouer que la seconde femme de Philippe l’était douée d’une activité infatigable dont l’Europe faisait depuis trente ans l’importune expérience. Le but qu’elle poursuivait sans relâche et pour lequel elle avait déjà troublé plus d’une fois la paix publique, c’était de créer pour chacun de ses enfans (à défaut du trône d’Espagne dont l’hérédité revenait à un