Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Toute la vieille machine gouvernementale tombe en morceaux, et les rouages isolés n’en peuvent plus fonctionner; justice, finance, administration, armée même, se détraquent simultanément. Selon le mot profond de M. Taine, « ce n’est pas une révolution, mais une dissolution. » Pour comprendre ce soudain effondrement du vieil édifice, il n’y a qu’à relire son premier volume. Jamais on n’a mieux montré les causes multiples de la ruine de l’ancienne société et de l’ancienne monarchie. A bien analyser les faits, « cette anarchie spontanée » de 1789 est moins l’enfantement laborieux du nouveau régime que les dernières convulsions et l’agonie de l’ancien. Comme un corps épuisé, dont le cœur n’a plus la force de faire circuler le sang, la France de 1789 à 1792 semble tomber en décomposition. Pour en maintenir l’unité, il faudra la rude main de la convention.

A voir l’absolue impuissance de l’administration royale, à voir cette subite paralysie de tous ses membres, ainsi constatée sur place, d’un bout du territoire à l’autre, on pourrait dire que l’ancienne Fiance était virtuellement morte avant que les états-généraux rassemblés pour la guérir l’eussent condamnée. Telle est, pour nous, la conclusion de tout ce long tableau des désordres de 1789. Le passé avait vécu et on n’en pouvait guère rien conserver; toutes ses institutions séculaires avaient perdu leur raison d’être avec leur efficacité. La France demeurait sans gouvernement, vouée à l’anarchie et aux violences, car on ne saurait improviser un gouvernement que lorsque les ressorts de l’état restent intacts.

Les émeutes de carrefour et la guerre aux châteaux ne sont pas toute la révolution. M. Taine le sait autant que personne, et de la rue il nous ramène aux assemblées dont, pour la plupart de ses devanciers, l’histoire est toute l’histoire du temps. Constituante, législative, convention, il les étudie suivant sa méthode habituelle, moins curieux de leurs discussions, de leurs votes, de leurs lois que de leur physionomie, de leur altitude, de leurs sentimens et de leurs émotions. Il ne se contente pas de nous faire entrer dans ces législatures, à la fois si différentes et si semblables, presque également composées de jeunes gens sans expérience ni éducation politique; il nous fait monter aux tribunes, au milieu de cette assemblée sans mandat, qui si souvent impose à l’autre sa volonté; il fait défiler devant nous la troupe bariolée et impérieuse des pétitionnaires. Il nous fait voir que, jusque sur cette scène officielle, les premiers acteurs ne sont pas toujours ceux qui figurent sur l’affiche et tiennent les grands rôles; qu’au milieu même de la représentation, les injonctions ou les sifflets du parterre bouleversent toute la pièce et en altèrent le dénoûment. Il nous fait comprendre, par le spectacle et le désordre de leurs séances, les incohérences et les contradictions