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sommes tout étonnés lorsque, à ses heures de révolte, nous la voyons revenir à ses appétits sanguinaires. Peut-être le fauve disparaîtra-t-il un jour de l’homme et le sauvage du peuple; mais pour cette élimination des derniers instincts de l’animalité et de la brute, il faudra des siècles. En attendant, nous aurons longtemps encore parmi nous des barbares, rendus plus forcenés aux heures de trouble par le breuvage empoisonné des fausses doctrines, et plus dangereux par les instrumens de destruction que peut mettre la science en leurs mains aveugles. C’est là une sorte de memento qu’il est bon de répéter de temps en temps à une société parfois trop fière de ses progrès et de sa richesse et à une démocratie qui rencontre plus de serviles adulateurs que de guides éclairés. M. Taine, dans son Anarchie spontanée ou dans sa Conquête jacobine, comme M. Maxime Du Camp dans ses Convulsions de Paris, ont le droit d’accomplir cette tâche ingrate; mais, si l’histoire de la commune tient presque tout entière dans ses massacres, ses pillages et ses incendies, si, en dehors de quelques banales utopies et de l’apothéose des convoitises, l’historien y cherche en vain des idées, il n’en est pas de même de la révolution. On ne saurait la résumer dans les crimes qui l’ont souillée on dans le fiévreux déchaînement du tempérament et de l’instinct animal. Il y a autre chose chez elle, il y a de l’intelligence et du cœur de l’homme, dans leur plus haute acception, il y a une foi dans les idées, un enthousiasme pour l’humanité et la vérité, que nous avons trop souvent perdu, et qui a soutenu la nation à travers toutes ses luttes, accompagné les promoteurs et les victimes de la révolution jusque dans la charrette des exécutions, et donné à leurs descendans intellectuels l’énergie de reprendre leur œuvre à chaque génération, sans jamais se laisser décourager par les déceptions. Quel est cet esprit de la révolution? Comment s’est-il formé? Quels en sont les qualités et les défauts? M. Taine n’a garde d’omettre toutes ces questions. Si, dans ses récits, il laisse souvent au premier plan les phénomènes extérieurs, le tempérament et l’éruption des appétits, il est loin d’avoir négligé l’analyse des doctrines. A vrai dire, cette genèse intellectuelle de la révolution est même une des parties les plus saillantes et les plus originales de son grand ouvrage, l’une de celles qui, à notre sens, commandent le plus d’attention.


II.

La révolution est la fille légitime de la philosophie du XVIIIe siècle. C’est là une vérité devenue une sorte de lieu-commun. M. Taine a, pour la première fois peut-être, montré comment elle se rattachait non-seulement au XVIIIe siècle, mais au XVIIe au siècle de Louis XIV,