Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un peu étonné du prix qu’attachaient alors tous les partis soit à obtenir son alliance, soit à prolonger sa neutralité. Mais la surprise cesse quand on se souvient que cet étroit territoire, arraché par le courage de ses habitans aux ravages de la mer et aux cruautés du despotisme, était devenu, dans l’Europe silencieuse et soumise, l’asile de toutes les libertés sociales et politiques. C’était là qu’avaient pris naissance et qu’essayaient leurs forces deux puissances que la liberté seule engendre et nourrit et qui ont renouvelé sous nos yeux la face des états modernes : le crédit et la presse.

Un commerce très étendu avait réuni entre les mains des bourgeois d’Amsterdam de vastes richesses mobilières qui leur permettaient de vendre leur concours ou de dicter leurs conditions aux gouvernemens besogneux (ils l’étaient tous), embarrassés pour solder leurs armées ou payer leurs fantaisies. De plus, les gazettes de Hollande, échappant à toute censure officielle, avaient seules gardé le droit de parler librement sur les événemens du jour. C’était là qu’on venait imprimer ce qu’à peine on osait dire tout bas et révéler ce qu’on cachait ailleurs, et ces indiscrétions calculées faisaient ensuite, en contrebande, le tour de toutes les capitales. Devant ce tribunal de l’opinion, le seul dont la sentence ne fût pas dictée d’avance, venaient se plaider toutes les causes de droit public et se débattre toutes les renommées politiques et militaires. Personne ne méprisait impunément cette voix de la conscience populaire. Louis XIV l’avait appris à son dommage, car rien n’avait plus fait de tort, à lui et à sa race, que d’avoir aliéné, par une perfide agression, des sympathies jusque-là acquises au petit-fils de Henri IV. Frédéric, mieux averti, n’avait garde de tomber dans la même faute. Engagé dans une entreprise où la Hollande ne pouvait le suivre, il ne négligeait aucune occasion de lui faire savoir sous main qu’il lui restait attaché comme le plus dévot de ses coreligionnaires, et qu’au fond ce qu’il allait défendre sur les terres d’Autriche, c’était le protestantisme opprimé, et il ne manquait pas d’ajouter que les fonds hollandais placés en Silésie ne couraient aucun risque entre ses mains. Il touchait ainsi tour à tour les deux cordes sensibles qui vibraient dans le cœur de ces fiers négocians, aussi soucieux d’assurer les droits de leur conscience que l’intérêt de leurs capitaux.

Si l’on passait maintenant sans transition de cette frontière méridionale de l’empire à son extrémité opposée, on y trouvait un mélange à peu près pareil de petits et de grands états livrés aux mêmes incertitudes, bien qu’animés du même fond de malveillance contre l’ambition française. Le colosse semi-barbare dont un grand homme venait de révéler au monde la force encore mystérieuse, la Russie, inclinait naturellement pour l’Autriche. C’était