la théorie des milieux, c’est-à-dire, un système d’après lequel les idées de même que les êtres vivans, les gouvernemens et les formes politiques, aussi bien que les arts, les littératures, les philosophies sont le produit de conditions variables et d’antécédens multiples, le produit du lieu et du temps, du sol et du climat, le fruit changeant d’une race, d’un état social ou religieux.
Ce principe bien simple est en apparence inoffensif, et cependant nous n’avons pas besoin d’en suivre très loin les conséquences pour apercevoir par quels côtés il est en contradiction avec les idées génératrices de la révolution, avec les sentimens, les théories, les maximes dont s’est inspiré 1789. La révolution française, — et c’est ce qui la distingue entre toutes, ce qui en fait la révolution tout court, sans épithète nationale, sans désignation de temps ou de lieu, — la révolution française, considérée dans son principe, est avant tout la revendication des droits de l’homme, des droits du peuple et du citoyen, en dehors de toute considération de pays, d’époque ou de race, sans égard, en un mot, aux influences de milieu qui, pour notre philosophe, règnent partout en souveraines. De ce désaccord dans le point de départ découlent, entre M. Taine et la révolution, des divergences de toute sorte qui les placent presque aux deux pôles de la pensée humaine.
On peut dire que, entre la révolution et son nouvel historien, il y a antipathie de principes, qu’entre eux il y a un différend plus profond qu’un différend politique, il y a une manière opposée d’entendre l’homme et la marche des sociétés, et, comme tous deux sont également confians dans leur doctrine et également logiques, leur opposition éclate plus bruyamment.
Au risque de paraître toucher au paradoxe, j’oserai dire que, par son système et ses habitudes d’esprit, notre philosophe rationaliste se trouve, vis-à-vis de la révolution, dans une position analogue à celle de certaine école religieuse, de Bonald ou de Joseph de Maistre, par exemple. Entre elle et lui, c’est une incompatibilité de croyances, de foi. On sait comment la révolution était jugée par Joseph de Maistre, un de ces puissans esprits systématiques lui aussi qui font tout rentrer dans le moule d’un seul principe. La trouvant en contradiction avec toutes ses notions et ses axiomes sur le gouvernement des sociétés, il la déclarait satanique et ne voyait en elle qu’une sorte d’incarnation de l’esprit du mal. Ce que M. Taine semble y voir, ce n’est pas le génie du mal, mais le génie de l’erreur, de l’erreur érigée systématiquement en doctrine, s’efforçant per fas et nefas de se formuler en acte, de se traduire en société vivante, en état organisé. A ses yeux comme aux yeux de l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg, la révolution repose