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la première bataille et le gage de la première conquête, épouvantait George II et le détournait de se lancer dans les hasards d’une guerre continentale. Au moins voulait-il, avant de s’y décider, épuiser tous les moyens diplomatiques propres à satisfaire ou à apaiser la Prusse et assurer ainsi pour les premiers combats la sécurité de sa frontière. Ces hésitations étaient connues à Londres, où l’opposition les reprochait amèrement, sinon au souverain lui-même, au moins au premier ministre, Robert Walpole, qu’on accusait de ménager les faiblesses royales pour rester bien en cour, aux dépens de l’intérêt national et contrairement au vœu populaire.

Le grief n’était fondé qu’en apparence, car pour aimer la paix et craindre la guerre, Walpole n’avait besoin de se livrer à aucun calcul ; il lui suffisait de suivre son tempérament. A cet égard, comme sous d’autres encore, il était véritablement le Fleury de l’Angleterre. Et, de fait, malgré l’étrangeté de la comparaison, malgré la diversité des conditions et des costumes, il y avait entre ces deux chefs d’état rivaux plus d’un rapport d’humeur qui les avait fait vivre longtemps en bonne intelligence. L’un et l’autre gouvernaient leur patrie depuis plus de vingt ans, moins par supériorité de génie que par une heureuse adresse, et leur habileté consistait principalement à connaître le secret de toutes les faiblesses du cœur humain, plus semblable en tout lieu qu’on ne le croit et accessible aux mêmes séductions dans un parlement que dans une cour : quel que soit le théâtre, les coulisses se ressemblent. Aussi peu militaire que le vieux prélat, le vieux gentilhomme était beaucoup moins fin diplomate. La politique étrangère l’importunait, et il lui savait particulièrement mauvais gré de venir déranger mal à propos son petit travail parlementaire. « J’abandonne l’Europe à mon frère Horace, » disait-il volontiers; mais ce frère, personnage lui-même très distingué, avait été de longues années ambassadeur en France, où il avait laissé les meilleures relations, et ce n’était pas de lui que pouvaient partir des conseils extrêmes. Belle-Isle connaissait mieux que personne ce dessous des cartes et pouvait se flatter, sinon de se concilier la politique anglaise, au moins de la gagner de vitesse et d’atteindre le but avant qu’on se fût mis en mesure de lui barrer le chemin.

Les lenteurs du cabinet britannique entraînaient l’hésitation d’une autre puissance maritime plus voisine de l’Allemagne, la Hollande, « rangée, dit Frédéric par une vive expression, à la suite de l’Angleterre comme une chaloupe suit l’impression d’un vaisseau de guerre auquel elle est attachée. » Le navire tardant à prendre le large, l’embarcation ne se hâtait pas de mettre à la voile. A voir aujourd’hui ce petit état vivre dans un calme plein de dignité, loin de la grande scène où se jouent les destinées des peuples, on est