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M. Benedetti représentait aux yeux de M. de Bismarck un passé incommode ; il était un reproche vivant. Il rappelait à un chancelier superbe et glorieux les promesses et les engagemens d’un ministre modeste et solliciteur ; sa présence mettait le politique en opposition avec les droits imprescriptibles de la morale. Un éclat était imminent. Il eût singulièrement aggravé les choses. M. de Moustier sut le conjurer en prescrivant à M. Benedetti de s’effacer, d’éviter toute rencontre avec le président du conseil, de n’échanger avec lui aucune communication officielle et surtout de se refuser à toute discussion sur la question du Luxembourg. La diplomatie française se mettait volontairement en quarantaine.

M. de Bismarck opérait de son côté une évolution caractérisée, mais en sens contraire. À trois jours de distance, il faisait litière des assurances tranquillisantes qu’il avait fait parvenir à l’empereur par le comte de Goltz. Il n’avait eu qu’un accès de modération, un retour fugitif de conscience. Les passions s’échauffant au lieu de se calmer, il se rejetait résolument dans le mouvement pour en conserver la direction et ne pas être débordé. Tout le monde voulait la guerre, le parlement et les généraux. M. de Moltke, seul, était écouté. « Nous sommes prêts, disait-il, et la France ne l’est pas. » On tenait l’occasion, il fallait la saisir et s’épargner d’éternels regrets. La campagne serait courte et glorieuse ; on prendrait du même coup l’Alsace et les lignes de la Meuse. Déjà les attachés militaires à Paris faisaient rafle de nos cartes et les expédiaient par ballots à l’état-major-général par l’entremise de banquiers prussiens. Ils savaient ce qui se disait et se faisait au ministère de la guerre. Ils étaient liés avec les officiers attachés à une ambassade pour laquelle il n’était malheureusement pas de secret. M. de Goltz avait à sa disposition tous les moyens d’information, il avait accès partout ; ce qu’il n’apprenait pas lui-même dans les salons, où le plus souvent se divulguent par vanité avec une déplorable insouciance les choses les plus secrètes, lui revenait par quelques-uns de ces personnages interlopes qui s’insinuent dans nos maisons, sont aux écoutes