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Humbert, comment cette démarche du fils de Victor-Emmanuel a été appréciée dans les circonstances présentes à Vienne et à Berlin. On aura peut-être fait beaucoup de bruit pour rien. Les explications données déjà le mois dernier par le comte Andrassy et par M. de Kallay au nom de l’Autriche devant les délégations ne laissaient pas de réduire l’importance de l’événement, et les atténuations que la diplomatie impériale a prodiguées n’ont pas suffi pour déguiser la véritable pensée des hommes d’état austro-hongrois. La forme a été adoucie, l’idée est restée. Le chancelier d’Allemagne, à son tour, n’a pas tardé à décourager les espérances ou à refroidir quelque peu l’enthousiasme des Italiens. Ce n’est point sans doute que M. de Bismarck ait voulu être désagréable pour l’Italie ou qu’il ait fait quelque allusion directe et désobligeante au voyage de Vienne. Il a parlé sans se gêner, comme il le fait toujours. Dans ses luttes contre les libéraux-progressistes allemands, il a saisi l’occasion de caractériser leur politique, de leur déclarer qu’ils ressemblaient aux progressistes de tous les pays, que par leurs idées, en Allemagne comme partout, ils conduisaient à la république, et, appelant l’histoire à son aide, passant en revue l’Europe entière, il s’est exprimé librement surtout le monde. Il s’est montré peu respectueux, nous en convenons, pour la république française, qu’il a représentée à peu près comme un malheur ; il n’a pas beaucoup d’illusion sur la Belgique ; et, arrivant à la monarchie italienne, il a ajouté sans plus de façon : « Prenez l’Italie… la république hante beaucoup de cerveaux, et l’Italie est déjà plus avancée que le parti progressiste allemand… Le chemin que l’Italie a fait depuis vingt ans dans cette direction ne se dessine-t-il pas nettement aux yeux de tous ? En Italie, le centre de gravité n’a-t-il pas glissé de ministère en ministère plus à gauche, de telle façon qu’il ne peut plus guère s’avancer vers la gauche sans être sur le terrain républicain ? »

Voilà ce qu’il a dit l’autre jour, et c’est assez significatif. Sait-on ce que cela prouve ? C’est que les circonstances ont changé pour M. de Bismarck. Il y a eu des momens, il ne le cache pas, où, croyant avoir encore à défendre l’unité allemande contre les coalitions qui pouvaient la menacer, il était préoccupé avant tout de combinaisons extérieures. Il n’était pas difficile, il l’avoue, il aurait accepté ou provoqué toutes les alliances dans l’intérêt de l’œuvre à laquelle il subordonnait tout. Aujourd’hui, il est pleinement rassuré de ce côté, il croit n’avoir plus rien à craindre, surtout depuis qu’il a réussi à renouer une alliance intime avec l’Autriche. C’est là pour lui la garantie de la paix qu’il désire dans le fond, et il peut se donner tout entier à ce qu’il considère comme le complément de sa tâche, à l’œuvre intérieure. Il a la préoccupation passionnée de défendre l’empire contre les socialistes, contre les progressistes eux-mêmes qui ne sont pour lui que des