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fort simple, auquel les circonstances ont donné le caractère d’une sorte de duel politique et oratoire entre M. le président du conseil et un des hommes qui représentent avec le plus de fermeté les opinions modérées dans la chambre des députés, M. Ribot. Jusqu’à quel point le remaniement des grands services de l’état et la création de nouveaux ministères répondent-ils à une nécessité publique ? C’est là une question sur laquelle, à vrai dire, les avis peuvent se partager. On peut certainement dire que l’agriculture représente en France d’assez grands intérêts pour qu’il soit d’une bonne politique de lui donner un ministère spécial, d’autant plus que c’est là une institution qui a été réclamée bien des fois. On peut soutenir aussi que, dans un régime parlementaire, il est tout simple d’associer au gouvernement, soit comme ministres, soit comme sous-secrétaires d’état, un certain nombre de membres du parlement et qu’il peut, par conséquent, être utile de multiplier les portefeuilles, de diviser les services, selon le mot de M. Gambetta. Ce sont là des opinions qui peuvent être contestées, au nom même des intérêts qu’on prétend servir, — qui peuvent aussi être défendues par des raisons sérieuses. La question a été agitée plus d’une fois ; elle n’a malheureusement été tranchée le plus souvent que sous l’influence de considérations personnelles ou par des motifs de circonstances ; mais ce n’est pas là le principal objet du débat de l’autre jour. La discussion s’est élévée sur un point plus délicat, plus grave au fond qu’il n’en avait l’air. Utile ou inutile, opportune du inopportune, l’institution des nouveaux ministères crée dans tous les cas une charge de plus ; elle se traduit dans le budget par une dépense permanente : qui a le droit de créer une chargé fixe, d’introduire dans l’organisation publique une institution impliquant une dépense permanente ?

Oui, qui a ce droit ? La commission des finances qui avait été nommée pour examiner la proposition de crédits présentée par le gouvernement n’avait pas laissé d’être très partagée ; elle ne voulait nullement faire acte d’opposition ; elle n’entendait pas atteindre les nouveaux ministères récemment constitués, le gouvernement tout entier, par un refus de subsides, et, pour tout concilier, elle s’est bornée en proposant le vote des crédits, à émettre le vœu qu’à l’avenir le pouvoir législatif soit consulté sur toutes les créations de ce genre. Un vœu, un simple vœu, c’était bien peu de chose. C’était assez néanmoins pour soulever une question autrement sérieuse, la question même des limites entre les prérogatives du pouvoir exécutif et les droits du parlement. M. le président du conseil ne s’y est pas trompé ; il a bien senti que, si on ne voulait pas le frapper, on entendait pourtant, d’un autre côté, réserver expressément les franchises législatives, et que cette réserve même contenait une censure, un mécontentement, si mitigé qu’il fût, que