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précisément moins dramatique, mais moins serré que le premier, et plus dispersé, pour ainsi dire, en épisodes, — n’a pas moins heureusement inspiré M. Jean-Paul Laurens. Nous avons dit déjà l’année dernière comme la nature de son talent convenait à l’interprétation de ces scènes de violence et de deuil, de ces tragédies à la fois splendides et sanguinaires, de ce mélange enfin d’insolente magnificence et de simplicité barbare qui est la sombre, mais incontestable poésie de l’époque mérovingienne. Il ne s’agit pas, après cela, de savoir ou non si le caractère de l’interprétation est vraiment mérovingien, mais uniquement, s’il nous donne une sensation que nous ne puissions confondre avec nulle autre, et si cette sensation est légitime, je veux dire, s’il n’y a pas d’anachronisme grave dans la disposition générale des architectures, dans la mise en place des détails de costume ou d’ameublement, enfin dans ce que nous nous imaginons que devait être l’expression physionomique d’un Sigebert ou d’un Chilpéric. Je crois que l’on reconnaîtra ces mérites certains dans les compositions de M. Jean-Paul Laurens, et que le Deuxième Récit des temps mérovingiens ne sera pas accueilli moins favorablement que le premier. Les effets surtout que l’artiste a tirés de l’ampleur flottante et de la tristesse lugubre du costume monacal sont extraordinaires. L’expression n’est pas trop forte pour louer la troisième et la sixième de ces compositions, — les moines de Saint Martin essayant d’éloigner de leur monastère le débarquement des Francs, et l’évêque Salvius répondant à Grégoire de Tours le mot devenu légendaire : « Je vois le glaive de Dieu suspendu sur cette maison. »

l’Histoire d’Esther[1] comptera sans doute aussi, sauf peut-être une ou deux planches, la troisième, par exemple, et la huitième, qui sont mesquines d’aspect, parmi les meilleurs fragmens de cette vaste illustration de la Bible que M. Biffa poursuit depuis déjà, plusieurs années, et qui tient sa remarquable originalité d’une habitude, et d’une connaissance, et d’une science approfondie de l’Orient. M. Bida part de ce principe que, l’Orient, mais l’Orient véritable, non pas celui de certains peintres, étant le pays de l’immobilité, c’est à la lumière de ses coutumes, demeurées les mêmes jusqu’à nous et depuis le temps de Ruth ou d’Esther, qu’il faut interpréter la Bible. Aussi ne se contente-t-il pas de jeter un vêtement oriental sur les épaules de quelque modèle européen, mais chez lui les physionomies, les attitudes, les gestes sont visiblement d’une autre race, d’une autre contrée, d’un autre état social que les nôtres. Il a, de plus, ici, très ingénieusement fait servir à l’illustration de l’Histoire d’Esther ce que les antiquités dites assyriennes lui fournissaient de renseignemens archéologiques. Nous

  1. L’Histoire d’Esther, traduction de Lemaistre de Sacy, eaux-fortes de M. Bida, 1 vol. in-f° ; Hachette.