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même pour tous : on n’y connaît pas de tribunaux exceptionnels. En un mot, tous les paysans sont propriétaires, libres civilement et politiquement, et l’on pourrait ajouter que, grâce à la simplicité des intérêts et des mœurs, tous les propriétaires sont paysans.

N’y a-t-il pas dans ces lois ou plutôt dans ces usages démocratiques des Serbes comme un reflet du communisme rêvé par Fourier et autres égalitaires de bonne foi ? Est-ce là le règne de la commune comme le désirent nos révolutionnaires actuels ? Ce qu’il y a de certain, c’est qu’en Serbie l’égalité n’existe pas seulement dans les codes, elle a passé aussi dans les faits ; elle est descendue des institutions dans les cœurs, ou plutôt elle est née d’un élan naturel et spontané d’âmes simples et droites, d’où elle s’est répandue dans tout l’organisme social. C’est une société idéale de paysans propriétaires, cultivant de leurs mains libres un sol libre et n’ayant personne ni au-dessus ni au-dessous d’eux.

Belgrade, « la ville blanche, » capitale de la Serbie, possédait lors de son dernier recensement, en 1874, une population de vingt-huit mille habitans. Le district qui porte son nom en comptait soixante-quinze mille. Des juifs, au nombre de trois cent cinquante familles, habitent un quartier à part, non loin du Danube, à l’est de la ville. Le reste de la population est presque tout indigène.

Belgrade est bâtie sur la rive droite du Danube qui reçoit, à Belgrade même, la Save comme affluent. Vue du fleuve, son aspect est loin de manquer de grandeur, car on l’aperçoit se développant en un amphithéâtre au sommet duquel se détachent une forteresse de fière mine et des jardins aux arbres élancés. Les coupoles de ses anciens minarets ont disparu, mais les Turcs ont laissé ici des souvenirs tellement odieux qu’ils n’ont pas permis de regretter le caractère oriental qu’elles donnaient à la cité serbe. En raison des récens travaux qui ont été exécutés, les vieilles maisons en bois qu’on y voyait à profusion et que l’on retrouve encore aujourd’hui dans toutes les villes d’Orient, ont fait place à des constructions modernes. C’est seulement dans une partie de la ville appelée « le faubourg » que l’on peut à grand’peine découvrir encore quelques bicoques anciennes. Il y avait là, autrefois, d’obscures ruelles que l’on eût pu croire calquées sur celles du Caire et de Constantinople. Tous ces vestiges de la domination musulmane ne sont plus. C’est à Salonique et plus à l’ouest de la Turquie d’Europe, qu’il faut aller pour retrouver aujourd’hui ces pittoresques boutiques à auvent où s’étalaient de riches fourrures, desselles aux harnachemens décorés de houppes écarlates, des ceintures de soie, des faisceaux d’armes richement damasquinées, des parfums et des pipes.

La nouvelle ville, c’est-à-dire la vraie Belgrade, celle qui fut toujours habitée par les vrais Serbes, s’étend le long de la Save dans