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Firmin-Didot. Ces deux amateurs ont pensé que non-seulement le maître ne se bornait pas à dessiner sur bois les sujets livrés ensuite au couteau du graveur, mais qu’il découpait les contours des parties les plus délicates, telles que les têtes et les extrémités et les cernait au canif, laissant aux tailleurs en bois le soin de creuser ce qu’il avait ainsi commencé. D’ailleurs ce qui est bien établi, c’est qu’il surveillait avec le plus grand soin l’exécution de ces gravures et, plus d’une fois il dut lui arriver de prendre en main le couteau du praticien et de donner l’exemple. C’est ainsi qu’il forma sous sa direction une petite légion d’habiles graveurs, qui ont multiplié des compositions merveilleuses par l’abondance, la variété, la richesse de l’imagination, par la beauté du dessin, par l’entente du clair-obscur, inconnue avant lui dans ce genre de gravure, compositions telles que l’Apocalypse, la Grande et la Petite Passion, la Vie de la Vierge, l’Arc triomphal et le Char de triomphe de Maximilien Ier, toutes pièces et séries de pièces admirables qui, dans leur énergie, leur grandeur d’effet, rivalisent avec la taille-douce. Aussi trouvait-il de nombreux imitateurs, des contrefacteurs même, et parmi ces derniers, le célèbre Marc-Antoine Raimondi, qui ne craignit point, non-seulement de copier sur cuivre les tailles de bois d’Albert Dürer, mais encore d’y ajouter le monogramme du maître et de vendre frauduleusement ces contrefaçons comme des originaux. Marc-Antoine pilla ainsi la plus grande partie de la Vie de la Vierge, la suite de la Passion en trente-sept pièces et, au dire de Bartsch, sept autres pièces diverses. Il faut en ajouter une huitième, inconnue à Bartsch et conservée au musée du Louvre. C’est, d’après M. Reiset, une répétition en petit de la Descente de croix, qui fait partie de la suite de la Passion que Marc-Antoine avait déjà copiée. Cette petite estampe, d’un burin très libre et très délicat, est toute différente de la première, où Marc-Antoine imitait servilement les tailles du bois original[1]. Elle donne entièrement raison à l’observation pleine de goût faite par M. à Firmin-Didot à ce sujet : « Il est regrettable, dit cet amateur, que Marc-Antoine, dans le but intéressé qui le guidait, ait exécuté ses contrefaçons en taille-douce sur cuivre, dans les mêmes dimensions que les originaux sur bois dont il calque en quelque sorte les traits. La finesse du burin, qui caractérise la gravure en taille-douce, exigeait pour ne rien perdre de son charme une réduction dans les proportions ; la taille-douce eût ainsi profité de ses avantages. » Marc-Antoine a, en effet, essayé ce procédé de réduction dans la pièce signalée par M. Reiset, et il lui a parfaitement réussi.

Les mêmes progrès qu’Albert Dürer accomplit dans l’art de la

  1. Voyez la notice des dessins du Louvre (1re partie), p. 362.