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Vénitiens ses contemporains disaient de lui qu’il était « bon graveur et mauvais peintre. »

Parmi les dessins de Dürer que possède le Louvre, s’il n’en est qu’un d’important par la composition, — celui qui est catalogué sous le numéro 496 et qui représente la Vierge allaitant l’Enfant Jésus, entourée de la Sainte Famille, — ils sont tous importans par la beauté caractéristique de l’exécution. La construction anatomique des figures y est accentuée avec une science admirable du mouvement ; les draperies, développées par grandes masses dans l’ensemble, se perdent et se brisent, dans le détail, en mille petits plis capricieux, tourmentés, curieusement cherchés, qui sont comme la signature du maître dans son œuvre tout entier. L’expression des têtes est toujours voulue, ferme, et amenée à l’unité par le concours savant de toutes les parties du visage au même but. Un de ces dessins établit l’attentif et patient amour de la réalité qui dirigeait le maître dans ses études, alors que, dans ses œuvres composées, son imagination l’emportait si loin du réel. Ce dessin, à l’aquarelle sur toile fine, représente une tête de jeune garçon vue de face et de grandeur naturelle. Une barbe blonde descend des oreilles, garnit le menton et pend en longues mèches droites sur la poitrine ; les cheveux sont blonds aussi, mais courts et frisés. Sans doute l’artiste aura dessiné là, de souvenir ou d’après nature, quelque enfant monstrueux, un cas de tératologie, entrevu à la foire de Francfort, quelqu’un de ces « phénomènes vivans » qui, de tout temps, ont exploité leurs infirmités au profit de leur ventre, — maigre profit, pauvre industrie, il faut le dire ; mais, de la part du peintre, étude curieuse.

Dans les portefeuilles du Louvre, il se trouve encore de bien précieuses pages, de légers croquis de Vierges, à peine indiqués, mais d’un esprit fin, gracieux, et marqués au sceau du maître-graveur, en ces hachures, en ces traits de plume prolongés sans effort de la chair à l’étoffe. Notons aussi pour mémoire une Vierge qui resta entre les mains de Rubens. On y reconnaît parfaitement les passages de crayon du grand artiste flamand aux contours, aux draperies, dans le visage même, à l’un des yeux. Trois aquarelles complètent notre belle collection des dessins d’Albert Dürer. Ce sont des études d’après nature. Ici des pics de montagnes couronnés de forteresses crénelées ; au pied, d’humbles villages, et sur la feuille, de la main de l’artiste : Fenedier (Venediger) Klawsen[1] ;

  1. Ces feuilles de croquis habilement interrogées peuvent éclairer certains points obscurs de la vie de l’artiste. C’est ainsi que M. Ephrussi, à l’aide de pages d’album conservées au cabinet des estampes de Berlin et dans la collection de Mme veuve Grahl, de Dresde, commentées par lui avec une pénétrante sagacité, a pu tracer très sûrement l’itinéraire d’un voyage inédit d’Albert Dürer en Suisse et en Alsace, dans le courant de l’année 1515.