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enfermé dans ce tombeau. » Mais il appartenait au sceptique Érasme de dire ces mots, qui sont d’un sage peut-être, quoique assurément d’un pauvre cœur : « Quid attinet Düreri mortem deplorare, quum sumus mortales omnes ? À quoi bon pleurer la mort d’Albert Dürer, puisque nous sommes tous mortels ? »

Nous avons insisté sur le côté douloureux de la biographie d’Albert Dürer, tracé dans la première partie de cette étude les lignes principales de sa biographie, celles qui pouvaient nous aider à découvrir le caractère spécial de son génie : étudions son œuvre maintenant, pour chercher ce qu’il y a mis de ses douleurs et de ses aspirations, des douleurs et des aspirations de son temps.


II

Fils et petit-fils d’orfèvre, Albert Dürer dut mettre la main à des travaux d’orfèvrerie ; mais il ne reste aucun ouvrage authentique qui vienne confirmer cette supposition, à moins que l’on ne considère comme un travail de ce genre le petit crucifix connu sous le nom de Pommeau d’épée, composition dont les épreuves sont extrêmement rares et que l’artiste, prétend-on, avait gravée sur le pommeau de l’épée de l’empereur Maximilien Ier. On ne peut donc sérieusement étudier l’artiste que dans son œuvre de peintre et de graveur.

Le musée du Louvre ne possède qu’une seule peinture d’Albert Dürer, encore a-t-elle été classée parmi les dessins. C’est, en effet, un dessin colorié à l’aquarelle et à la gouache sur une toile très fine et sans préparation. Il représente une tête de vieillard vue presque de face et légèrement tournée vers la droite. Le personnage est coiffé d’un bonnet rouge dont l’étoffe, d’un ton éclatant, recouvre ses oreilles ; il ne porte ni moustache ni mouche, mais une longue barbe blanche se détache sous le menton et flotte sur le collet de fourrure grise qui garnit le vêtement. Le fond est noir. On y voit le monogramme bien connu du maître et la date 1520. L’exécution de ce dessin unique est d’une grandeur magistrale ; le relief, le modelé d’une vigueur qui étonne avec une si rare simplicité de moyens. L’effet d’ensemble est large et puissant, bien que la recherche du détail y soit poussée fort loin, à ce point même que chaque cheveu, chaque sourcil y a son ombre portée. L’habileté de la main est telle que de semblables scrupules, qui paraîtraient d’une minutie puérile dans une peinture moins parfaite, n’enlèvent rien de sa majesté à l’impression que nous laisse une œuvre si vivante. C’est ici le lieu de placer une anecdote rapportée par tous les biographes d’Albert Dürer et qui prouve l’admiration qu’excitait parmi ses