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cet ennui qui pèse encore aujourd’hui si lourdement sur nos collèges et « qui en est comme le génie malfaisant[1]. »

L’usage de ces dictées n’était pas nouveau ; de très bonne heure, il avait pénétré dans l’université par l’enseignement philosophique et s’y était généralisé à tel point que, dès le milieu du XIVe siècle, il avait fallu défendre aux professeurs « d’employer le temps des leçons à faire écrire leurs écoliers. » Cent ans après, le cardinal d’Estouteville enjoignait aux maîtres de ne pas oublier que leur principal de voir était de lire et d’expliquer les anciens philosophes et non d’apporter en classe des cahiers ou traités. Mais l’habitude était prise, et ces prescriptions étaient demeurées lettre morte. Le père Lamy (de l’Oratoire) s’en plaint amèrement dans ses entretiens sur les sciences : « On ne s’est applique, dit-il, qu’à de certaines questions pour ainsi dire étrangères, par exemple : Si la logique est une science ? quel est son objet ? mais on ne traite presque plus rien de ce qu’Aristote a enseigné dans les excellens ouvrages qu’il a faits de la logique. Au lieu de cela, les maîtres donnent en mauvais latin des opinions mal conçues, mal digérées, mal expliquées ; on croit que cela attache les écoliers, qui prennent plaisir à avoir des cahiers écrits de leurs mains. Mais, outre la perte de temps qu’ils passent à écrire, les jeunes gens prennent leurs écrits avec tant de négligence qu’ils ne les peuvent lire. On remédierait à ce mal en rétablissant la lecture des bons auteurs imprimés, que les professeurs accompagneraient de leurs observations. »

Il y avait là, cette citation le prouve, une vieille tradition universitaire, et nous ne prétendons certes pas faire un crime aux écoles centrales de l’avoir recueillie. Cela était fatal. La faute en revient tout entière à la convention, qui, en soustrayant l’enseignement et les méthodes à toute espèce de contrôle, avait désarmé d’avance ses successeurs. Toutefois le directoire aurait pu, sur ce point comme en bien d’autres, à ce qu’il semble, exercer une action plus énergique. Nulle part, dans la correspondance, on ne trouve la trace de cette action, au contraire. Le conseil d’instruction publique lui-même était manifestement partisan du système des cahiers. Il se les faisait envoyer, les lisait avec beaucoup d’attention, en rendait compte au ministre et, souvent, les retournait à leur auteur accompagnés de lettres de félicitations. Nous avons lu beaucoup de ces lettres ; aucune ne contient d’objection de principe ni d’invitation à réserver un peu du temps énorme que prenaient les dictées soit à l’explication des auteurs, soit à la correction des devoirs écrits. Ces deux exercices ne sont même pas mentionnés ; on pourrait croire qu’ils étaient

  1. Bréal.