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responsabilité personnelle et à nous acculer dans une impasse sans autre issue que le recul ou la guerre.

En rentrant au palais de l’ambassade, M. Benedetti trouva une dépêche qui heureusement cette fois s’était attardée en route. Expédiée de Paris dans la nuit, elle n’était arrivée à Berlin qu’à onze heures du matin. Voici ce que télégraphiait M. de Moustier :

« M. de Tornaco (le président du gouvernement luxembourgeois) est mandé à La Haye pour signer l’acte de cession. Les dispositions du roi et des ministres sont excellentes. Le traité sera signé dans la journée. »

Si la dépêche, au lieu de faire escale en route, était arrivée une heure plus tôt, l’ambassadeur aurait dû accentuer ses réponses assez pour permettre au président du conseil d’affirmer qu’à l’heure où il parlait, le Luxembourg était cédé à la France, et le lendemain sans doute les calculs du parti militaire se seraient réalisés, en s’appuyant sur le veto enthousiaste du parlement. La guerre n’avait tenu cette fois qu’à un fil, il est permis de le dire sans jouer sur les mots.


IX. — L’INTERPELLATION DE M. DE BENNIGSEN.

À l’heure même[1] où l’empereur ouvrait, par une belle journée de printemps, l’exposition universelle et, dans un langage élevé, parlait de l’union des peuples et de la communauté de leurs intérêts, la France était l’objet, au sein du parlement du Nord, des manifestations les plus haineuses. M. de Bennigsen, un Hanovrien opportuniste, qui de l’interpellation s’est fait une spécialité, demandait au gouvernement avec une émotion concertée ce qu’il y avait de vrai dans les bruits de cession du Luxembourg à la France. Il s’indignait de ce qu’un prince de race allemande, oubliant les souvenirs glorieux de sa maison, dont un membre, Adolphe de Nassau, avait même porté la couronne impériale, pût trafiquer d’un pays dont la population était allemande d’origine et de sympathies, pour le livrer aux convoitises françaises. Il demandait si l’on abandonnerait une forteresse construite en vue de la défense de l’Allemagne avec les indemnités imposées à la France en 181 à et en 1815. Il disait qu’il importait de prouver que, lorsqu’il s’agissait de défendre le territoire allemand, il n’existait plus de partis, et d’appuyer de la manière la plus décidée la politique vigoureuse que le

  1. On dit que, quelques instans avant l’ouverture de l’exposition, l’empereur avait reçu du Mexique des dépêches laissant pressentir la fin tragique de l’empereur Maximilien. Dans la soirée, il recevait les nouvelles les plus alarmantes de Berlin. C’était une journée fatidique.