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programmes ; les convenances ou le caprice de chacun tiendront lieu de toute règle. Chacun disposera son cours comme il l’entendra, et chacun enseignera ce qu’il voudra. Point de contrôle efficace ni de surveillance[1] autre que celle des jurys d’instruction qui ne pouvait être qu’illusoire ; aucune direction, aucune relation même du corps enseignant avec l’administration centrale. Chaque école est une petite république dans la grande, s’administrant et se gouvernant soi-même et laissant à chacun de ses membres une indépendance absolue. Les administrations départementales elles-mêmes n’interviendront pas dans l’enseignement, si ce n’est en cas de désordre grave et pour frapper de destitution un professeur.

L’audace était grande, et c’était s’exposer à de singuliers mécomptes que de livrer ainsi la direction de l’enseignement aux professeurs eux-mêmes. Un tel abandon n’eût pas laissé d’être imprudent, même en face d’un système éprouvé et vis-à-vis d’un corps ayant ses doctrines et ses traditions ; il était rempli de périls et ne pouvait amener que de mauvais résultats, étant données la nouvelle organisation des études et l’insuffisance notoire d’un personnel recruté sans aucune règle. Toute institution qui commence a besoin d’être maintenue sous peine de tomber dans le désordre. Les écoles centrales n’échappèrent pas à cette fatalité. La convention avait cru leur faire un magnifique présent en leur accordant une autonomie complète ; en réalité, c’était les vouer à l’incohérence.

En effet, ce qui frappe tout d’abord dans les documens de l’époque, quelle qu’en soit l’origine, c’est l’ensemble avec lequel ils s’accordent à déplorer « le défaut de rapport et de liaison » entre les divers cours des écoles centrales. Chacun pour soi et chacun chez soi, telle semble être la devise adoptée par la grande majorité des professeurs. Personne ne s’inquiète du voisin et ne cherche à lui venir en aide. Aucune vue d’ensemble, aucun concert, aucun ordre d’études arrêté en commun. « Chaque cours est isolé, dit un rapport[2] comme une école spéciale où l’on pourrait arriver de prime abord et sans avoir passé par aucune école particulière. » Ainsi le professeur de langues anciennes ignore le professeur de

  1. On trouve à ce sujet aux Archives, la minute d’un très curieux rapport présenté au directoire exécutif par le ministre de l’intérieur, et qui porte en marge : ajourné. Ce rapport conclut à la nécessité de surveiller l’instruction publique au moyen « d’agens probes et éclairés, chargés d’inspecter les écoles, de correspondre avec le gouvernement, de lui faire connaître les abus qui pourraient exister et les moyens de les détruire. » Le directoire ne donna malheureusement pas suite à cette idée, l’une des plus pratiques qui se soient fait jour au ministère de l’intérieur à cette époque. Un des premiers soins de Bonaparte sera de la reprendre.
  2. F17 3001.