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rencontra dès le début cet enseignement d’une morale d’état, indépendante de tout dogme et dont le principal objet était la glorification d’une œuvre tout humaine. Il semble même qu’il n’ait pas soupçonné la cause de ces résistances ; car, loin d’exhorter les professeurs des écoles centrales à ne se point écarter des saines doctrines spiritualistes, nous le voyons exercer son action dans un sens bien différent. La lecture de la correspondance administrative est, à cet égard, singulièrement instructive. Là, dans ces papiers confidentiels, dégagée des équivoques et de la réserve officielles, la pensée gouvernementale se précise et prend un relief tout à fait inattendu. Que nous sommes déjà loin de Robespierre et de l’Être suprême ! L’immortalité de l’âme, les peines et les récompenses, la vie future, foin de ces vaines croyances et honnis soient les malheureux professeurs qui s’y attardent encore ! Il faut voir de quel ton on les rappelle à l’ordre.

« Citoyen, écrit le ministre de l’intérieur à la date du 30 thermidor an VII et sur la proposition du conseil d’instruction publique, je me suis fait remettre sous les yeux votre lettre du 21 vendémiaire dernier avec les cahiers dictés à vos élèves pendant l’an VI… Je vous dirai que je suis très fâché que vous établissiez formellement que, sans l’immortalité de l’âme et les peines et les récompenses dans une vie à venir, les lois naturelles ne seraient pas obligatoires. Elles le seraient et elles le sont de par l’autorité de la nature, qui est telle qu’un homme nuit toujours à son bonheur réel, quand il agit contre les vrais principes de la saine morale. D’ailleurs, comme enfin ce dogme d’une vie à venir n’est pas susceptible d’une démonstration rigoureuse, appuyer uniquement sur lui toutes nos obligations, c’est faire reposer toute la morale sur une base incertaine. Je vous exhorte au contraire à faire bien voir aux jeunes gens que leur bonheur dans ce monde dépend de l’accomplissement de leurs devoirs et de leur obéissance aux décisions de la raison[1]. »

« Citoyen, écrit le même ministre (Quinette) à un professeur de grammaire générale de Pau[2], j’ai reçu votre lettre du 15 fructidor dernier et avec elle les cinq cahiers qui y sont joints. Je les ai communiqués au conseil d’instruction publique. Le conseil a vu cet ouvrage avec beaucoup d’intérêt… Cependant il a donné lieu à quelques réflexions dont je dois vous faire part. Premièrement, le conseil a regretté que vous ayez donné à votre traité d’idéologie la

  1. Archives nationales, F63009. Lettre au sieur Gaudin, professeur de législation à Épinal.
  2. F 17 1141.