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aux études. « La félicité des royaumes et des peuples, est-il décrit dans ce préambule, dépend de la bonne éducation de la jeunesse où l’on a pour but de cultiver, de polir par l’étude des sciences l’esprit encore brut des jeunes gens, de les disposer ainsi à remplir dignement les différentes places qui leur sont destinées, sans quoi ils seraient inutiles à la république ; enfin de leur apprendre le culte religieux et sincère que Dieu exige d’eux, l’attachement inviolable qu’ils doivent à leurs pères et mères et à leur patrie, le respect et l’obéissance qu’ils sont obligés de rendre aux princes et aux magistrats. »

Ce préambule, reproduit par Rollin dans son Traité des études, avait été la loi des universités aux XVIIe et XVIIIe siècles et jusqu’à la révolution, sauf Helvétius, qui voulait déjà remplacer l’enseignement religieux dans les écoles par une espèce de catéchisme moral, toute la pédagogie française en avait, pour ainsi dire, accepté l’héritage et continué la tradition. Rollin, quelque ami qu’il fût de l’histoire et des lettres latines, n’estimait pas que les maximes et les exemples tirés des meilleurs écrits d’un Sénèque ou d’un Marc Aurèle fussent suffisans pour développer dans de jeunes âmes le goût de la vertu. Il croyait trop, en vrai janséniste qu’il était, à la perversité de la nature humaine pour se fier à l’influence moralisatrice, des lettres. Il jugeait un peu les anciens à la façon du père Quesnel ; il tenait que « la connaissance de Dieu dans les philosophes païens ne produit qu’orgueil et vanité et qu’en dehors de la grâce de Jésus-Christ, il n’y a qu’impureté et qu’indignité[1], » et il ne se contentait pas « d’une probité romaine. » Bref, il voulait un enseignement religieux très fortement organisé, auquel tous les professeurs devaient concourir, indépendamment de l’aumônier, en faisant expliquer à leurs élèves les maximes tirées de l’Écriture sainte. « L’université, disait-il, consent que l’on tire des auteurs païens la délicatesse des expressions et des pensées ; ce sont de précieux vases, qu’on a le droit d’enlever aux Égyptiens ; mais elle craindrait que, dans ces coupes empoisonnées, on ne présentât aux jeunes gens le vin de l’erreur, si parmi tant de voix profanes dont retentissent continuellement les écoles, celle de Jésus-Christ, l’unique maître des hommes, ne s’y faisait entendre. Elle regarde la lecture de l’Écriture sainte comme un préservatif salutaire et comme un remède efficace pour prévenir et fortifier les jeunes gens au sortir des études contre les fausses maximes d’un siècle corrompu et contre la contagion des mauvais exemples. »

De Rollin à Rousseau, l’écart est grand ; rien ne ressemble moins que l’Émile à la sombre et chagrine morale de Port-Royal. Rousseau

  1. Réflexions morales du père Quesnel.