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dans les collèges. Malheureusement la loi du 3 brumaire était restée muette en ce point ; elle n’avait pas disposé, comme on l’a dit par erreur, « qu’à chaque école fût attaché un pensionnat où l’éducation proprement dite des élèves pût être efficacement surveillée[1]. » Le directoire essaya de combler cette lacune, il échoua presque partout. Dans beaucoup de départemens, à la vérité, des pensionnats s’ouvrirent, mais au lieu d’être un appui pour les écoles centrales, ces établissemens entrèrent aussitôt en lutte avec elles et leur dirent une redoutable concurrence, très peu consentirent à partager leur fortune[2]. Ce fut un grand malheur pour les écoles centrales : elles avaient de nombreux et puissans ennemis qui ne manquèrent pas d’exploiter une organisation « où la partie morale de l’éducation était complètement négligée. » Ce régime aurait pu convenir à « des jeunes gens déjà plus avancés en âge ; il était dangereux et impossible avec des enfans qui commençaient leurs études[3]. »

Si du moins ces défauts avaient été rachetés par une sage et judicieuse ordonnance des objets d’enseignement ! Malheureusement, ici comme en beaucoup d’autres matières, le législateur avait su poser les principes, il ignora l’art de les appliquer avec discernement. Certes, c’était un grand progrès que d’admettre les sciences au partage de l’empire exclusif auparavant exercé par les lettres ; mais encore y fallait-il un peu de prudence et le sentiment des proportions nécessaires. La convention n’eut pas ce sentiment. Elle crut faire bonne mesure aux lettres. Lakanal, le rapporteur du premier projet de décret sur les écoles centrales, eut même soin d’introduire dans son rapport une éloquente réfutation du fameux sophisme de Jean-Jacques sur la corruption des peuples cultivés. Toutefois il s’en fallut bien que la réalité répondît à ces belles prémisses. L’apologie de Lakanal n’était qu’une précaution oratoire, un artifice de langage. En fait, son projet, dont toutes les grandes lignes furent conservées par Daunou, consacrait manifestement la subordination des lettres aux sciences. Dans l’ancienne organisation des études, les cours duraient huit ans sans interruption. On entrait au collège à onze ou douze ans ; on en sortait, comme encore aujourd’hui, à dix-huit ou dix-neuf ans, après avoir fait de véritables classes. La convention ne se contenta pas de substituer des cours aux anciennes classes, ce qui modifiait déjà

  1. Guizot. Essai sur l’histoire et sur l’état actuel de l’instruction publique en France.
  2. Voir à ce sujet aux Archives (F. 63009) une très curieuse lettre des professeurs de l’école centrale d’Eure-et-Loir. — Idem, sur le même sujet (F 17 2097), la réponse des professeurs de l’école centrale de Seine-et-Oise à la circulaire du 20 floréal : « L’école centrale, lit-on dans cette pièce, ne connaît aucun pensionnat qui veuille correspondre avec elle. »
  3. Guizot.