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en état d’exercer leur jugement ? Il ne s’agit plus seulement ici de leur enseigner un art ou de leur apprendre un métier, comme dans l’Émile. Tout autre et bien autrement philosophique est la pédagogie de Lakanal et de Daunou. Les législateurs de l’an iv avaient la prétention de bâtir sur des fondemens entièrement nouveaux et suivant la méthode rationnelle, celle qui commence par le commencement. C’est pourquoi ils placèrent le dessin dans la première section et c’est aussi pourquoi ils lui firent une si large place.

L’idée n’était pas sans mérite : une autre innovation d’une portée plus générale et plus haute, celle-là, fut l’introduction des sciences mathématiques, physiques et naturelles dans les matières d’enseignement. Dans les anciens collèges, dans ceux des jésuites et des oratoriens, aussi bien que dans ceux de l’Université[1], les études scientifiques se bornaient à quelques notions d’arithmétique et de géométrie. Le latin y régnait en maître, à l’exclusion des autres branches de connaissances, et formait presque à lui seul tout le programme. La convention comprit qu’il fallait agrandir ce cadre déjà beaucoup trop étroit au XVIIe siècle et que le rapide développement des sciences au XVIIIe rendait presque ridicule. La chose nous paraît toute simple aujourd’hui ; elle était révolutionnaire au premier chef en 1794. Sans doute il y avait déjà longtemps qu’une réforme générale était attendue. Sans compter les écrits des philosophes et les mémoires des parlementaires, les cahiers des états-généraux avaient préparé le terrain. Le mal était connu, défini, le remède indiqué. Mais où la difficulté commençait, c’était dans l’application. Il faut toujours un certain courage pour rompre avec des traditions et des préjugés invétérés. En matière d’éducation surtout, l’empire de l’habitude est singulièrement puissant ; on ne s’y soustrait que par un violent effort de raison dont bien peu d’hommes et surtout de réunions d’hommes sont capables. Considérez ce qu’il a fallu de temps et d’énergie pour arracher de nos jours aux pouvoirs publics certaines réformes scolaires qui répondaient cependant à d’impérieux besoins. Nous ne sommes pas encore aujourd’hui, sous plus d’un rapport, beaucoup plus avancés en pédagogie qu’il y a cent cinquante ou deux cents ans. Ouvrez le Ratio studiorum des jésuites et vous y trouverez à chaque instant, suivant un mot piquant de M. Bréal, de vieilles connaissances. On peut juger par là des difficultés que les auteurs de la loi du 3 brumaire eurent à vaincre pour imposer un plan d’études fondé sur le principe de l’égalité des sciences et des lettres. De toutes les

  1. Nous pourrions ajouter et dans les fameuses petites écoles de Port-Royal. Voir à ce sujet le catalogue de la bibliothèque pédagogique dressé par Adry et reproduit par Sainte-Beuve.