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renaissant d’opinion. M. Thiers, d’ailleurs, en rentrant dans cette vie publiques un peu élargie, un. peu « aérée, » comme, on le disait, n’entendait nullement prendre une position d’agitateur, d’adversaire « irréconciliable, » et dès l’ouverture de la session qui suivait les élections de 1863, il saisissait la première occasion de s’expliquer, de se mettre en règle avec la constitution. Il n’hésitait même pas à remercier l’empereur du décret du 24 novembre et à déclarer qu’à partir de ce décret, « l’abstention ne serait plus, ni sage, ni digne, ni patriotique. » Il acceptait la légalité telle que la souveraineté nationale l’avait faite, sans rien désavouer de son passé et de ses opinions, de ses liens, avec la monarchie qu’il avait servie, de ses luttes sous la république. Qu’était-ce que M. Thiers à ce moment de 1863-1864 ? C’était un homme indépendant des partis, portant au corps législatif l’autorité de son expérience et de son savoir, le vif sentiment des choses, une ardeur et une fécondité de parole qui, loin de s’affaiblir, semblaient s’être renouvelées dans la retraite ; c’était le plus habile des parlementaires rentrant dans la carrière avec la résolution de concourir au « rétablissement des libertés publiques, » de reprendre la discussion des affaires du pays au point où il les trouvait. L’empire avait désormais devant lui un antagoniste redoutable par la modération même de ses opinions, par la hardiesse dans la modération, par la supériorité dans l’art de démêler les fautes, les entraînemens et les contradictions.

Cette campagne nouvelle de quelques années, M. Thiers la suivait en libéral sans doute ; il la conduisait encore plus peut-être en homme de gouvernement, familier avec les intérêts de la France et du monde, avec toutes les affaires d’administration et de diplomatie. Il saisissait pour ainsi dire corps à corps le système intérieur, et du premier coup, devant un corps législatif étonné et séduit, il déroulait ce programme des libertés nécessaires, qu’il reproduisait dans bien d’autres discours sur les élections, sur les garanties constitutionnelles, sur les principes de 1789. Il voyait les fantaisies du pouvoir absolu se déployer dans les travaux de luxe, dans les entreprises inutiles ou dans les aventures coûteuses, et, à attaquant aux finances il traçait dans ses lumineux exposés le bilan du régime ; il faisait et refaisait le compte des dépenses de l’empire, de ses emprunts, de ses budgets toujours grossissans. Il s’attachait surtout aux affaires extérieures qui, pendant ces années, allaient sans cesse en se compliquant, et en s’aggravant, qui le remplissaient d’émotion et de patriotique inquiétude. Dans la série des entreprises militaires ou diplomatiques de l’empire, il faisait, il est vrai, une exception. La guerre d’Orient, il l’avait toujours approuvée dans l’intimité de ses conversations, lorsqu’il n’était pas encore rendu à la vie publique, et même déviant le corps législatif, il disait tout haut :