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par les diversions extérieures. Là où le premier empire avait échoué, le second empire ne pouvait réussir indéfiniment, d’autant que si les souvenirs d’autrefois, le nom, restaient encore pour couvrir le nouveau règne, il n’y avait plus le génie. Napoléon III ne ressemblait pas plus à Napoléon Ier que 1852 ne ressemblait à 1804.

Le chef du second empire avait les superstitions, les tentations et, si l’on veut, les fantaisies de la toute-puissance, sans en avoir les facultés sérieuses. Il n’avait ni le jugement, ni la prévoyance, ni l’initiative, ni surtout l’application aux affaires, cette infatigable application qui faisait que, même dans l’exécution de desseins désavoués par la raison, Napoléon Ier restait l’administrateur le plus éclairé, le plus vigilant et le plus précis. Audacieux et indolent, obstiné dans quelques chimères et flottant dans ses volontés, nourri de l’idée qu’avec son nom il devait accomplir de grandes choses et prenant pour un système de gouvernement ses rêves de taciturne, politique sans sûreté, révolutionnaire par sa diplomatie plus cosmopolite que nationale, Napoléon III était le prince le mieux fait pour s’engager et engager la France dans toutes les aventures, sans avoir la force de les gouverner. S’il avait d’abord paru habile, c’est qu’il était servi par les circonstances et porté pour ainsi dire par les événemens, qui lui créaient une stature factice. En réalité, c’était sur le trône un rêveur par l’esprit, un conspirateur par les procédés. Évidemment, à une certaine heure, au lendemain de la guerre d’Italie, il avait lui-même comme une intuition vague de la crise qui commençait, qui se déguisait encore sous l’apparat du règne. Il ne croyait pas sa fortune épuisée : il semblait impatient et surpris de voir ses calculs trompés par cette guerre qui ne lui avait donné qu’une popularité d’un jour ; il se sentait obsédé de ces événemens qu’il avait déchaînés et qui lui échappaient, qui, en lui créant une situation difficile en Europe, avaient aussi leur retentissement en France, dans l’opinion émue et divisée.

Vainement alors, comme pour désintéresser ou capter l’opinion à l’intérieur, il essayait ce qu’on pouvait appeler le coup de théâtre des démonstrations libérales par le décret du 24 novembre 1860, bientôt suivi des sénatus-consultes de février et de décembre 1861, par ces mesures qui rendaient au corps législatif quelques-unes des prérogatives parlementaires les plus vitales, le droit de discuter l’adresse, la liberté et la publicité des débats, un contrôle plus sérieux sur le budget. Au fond, sans qu’on se l’avouât encore, c’était le signe des embarras de l’empire bien plus que de sa puissance et de sa bonne volonté réformatrice. On croyait faire diversion et se dégager par les réformes libérales des fatalités extérieures ; on revenait aux entreprises extérieures pour échapper à la pression croissante