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impressions si diverses, également vives, il les servait heure par heure dans leurs détails militaires, dans leurs conséquences politiques. Il s’intéressait aux modestes travaux du corps législatif tel qu’on l’avait fait, aussi bien qu’aux mouvemens de d’Europe. Au moment où s’annonçait une révolution économique par le traité de commerce avec l’Angleterre, il se rejetait dans les chiffres, dans l’étude des industries avec son ardeur impétueuse pour la protection des intérêts français qu’il croyait compromis. Si difficiles à débrouiller que fussent quelquefois les finances impériales, il scrutait les budgets d’année en année. L’historien restait un homme d’état curieux, informé, et c’est ainsi qu’en se tenant au courant, en suivant autant qu’il le pouvait la marche des affaires, même sous un gouvernement qu’il n’aimait pas, il évitait de s’user ou, si l’on veut, de se rouiller par l’inaction ; c’est ainsi qu’il se retrouvait tout prêt, tout armé le jour où l’empire, commençant à fléchir, se voyait conduit à chercher des forces, des garanties nouvelles dans des tentatives de transformations, dans des extensions libérales qui n’étaient que la rançon de ses faux systèmes. Que dis-je ? M. Thiers pouvait rentrer alors dans la carrière avec une autorité d’expérience et d’opinion doublée par le spectacle inquiétant des mécomptes que le règne avait accumules en quelques années.


III

Tout arrive, tout passe vite en France, et les régimes les plus orgueilleux n’échappent pas au destin qu’ils se sont fait. Assurément, le second empire, devant lequel M. Thiers n’était assez longtemps qu’un observateur libre, cet empire qui a eu sa raison d’être, a eu aussi pendant quelques années sa force et ses prospérités. Il a eu, comme d’autres régimes, ce qu’on peut appeler son mouvement ascendant, dont le plus haut point pourrait être placé après la guerre de Crimée, vers les débuts victorieux de la campagne d’Italie. Jusque-là l’empire, dégagé des violences de son origine, paraît établi avec son omnipotence organisée et ses institutions fonctionnant sans bruit. Il a pour lui, sinon d’élite libérale de la nation, du moins les masses fascinées par le nom et promptement soumises, les intérêts satisfaits, les succès de ses premières entreprises extérieures. Il parle à l’imagination publique par tous ces spectacles de la réunion d’un congrès européen à Paris, de la visite de la reine d’Angleterre, reçue dans l’intimité de Saint-Cloud ou au milieu des pompes de l’Hôtel de Ville par l’héritier du captif de Sainte-Hélène. Il n’a connu encore ni les épreuves sérieuses ni les embarras du règne. Tout lui est facile, et, sauf cet attentat du 14 janvier 1858 qui ressemble à un éclair sinistre, sauf cette scène lugubre d’un