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absolu, fût-il le plus glorieux, de la nécessité des garanties qui s’appellent la liberté dans le gouvernement des peuples. Voilà le spectacle incessamment renouvelé par l’Histoire du Consulat et de l’Empire, et pour être dans son livre un adorateur des faits accomplis, un serviteur du succès, comme on l’en accusait, l’historien eût été bien peu logique : ses écrits auraient contredit ses actions, puisque par son attitude il restait une protestation vivante contre le succès, contre la résurrection de cet empire dont il déroulait les annales.

Certes, pas plus au moment où il se remettait à sa grande composition que lorsqu’il l’avait commencée, M. Thiers n’obéissait à une inspiration de parti ou de circonstance. La fortune des œuvres de l’esprit est cependant étrange. Au début, M. Thiers avait bien pu, par ses évocations d’un grand passé, aider sans y songer à une restauration impériale, comme Béranger avec ses chansons, comme Victor Hugo lui-même avec ses incantations lyriques, avaient aidé à cet autre retour de l’île d’Elbe ; sans le savoir et sans le vouloir, il avait fait de la politique avec de l’histoire, il avait servi le second empire avant sa naissance. Par un singulier retour maintenant, à dater de 1855, l’Histoire de M. Thiers prenait ou semblait prendre un nouveau caractère qui tenait à un changement de perspective, qu’on était peut-être tenté de lui prêter. Elle n’avait pas moins d’impartialité, elle avait une autre signification et un autre rôle dans une situation nouvelle. Quand M. Thiers relevait dans ses récits les grandeurs d’autrefois, ces souvenirs devenaient pesans pour un régime qui n’était après tout que la diminution d’un règne fait pour rester unique. Quand l’historien, sans dissimuler les passions et les égaremens de l’empereur, se plaisait à montrer chez lui et l’activité féconde et la vigilance infatigable et l’esprit d’ordre, même d’équité dans l’administration, et le goût de l’économie dans les finances, et tous les dons supérieurs du chef d’état, ces traits se tournaient comme autant de critiques contre le neveu. Toutes ces pages rendaient plus sensible le contraste ou la différence entre le premier empire et le second. Elles rappelaient aussi, par l’exemple le plus tragique, comment périssent les despotismes, ceux qui ont le génie et à plus forte raison ceux qui n’ont pas le génie. Le cours des choses semblait donner ainsi une couleur nouvelle, une signification imprévue à cette partie de l’Histoire du Consulat et de l’Empire paraissant entre 1855 et 1862.


II

La vérité est que, dans ces nouveaux volumes qui conduisaient Napoléon jusqu’à sa chute, comme dans les premiers qui le conduisaient au faîte des grandeurs, M. Thiers n’avait d’autre pensée que