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douzième volume qui ouvrait une série nouvelle, au point culminant de l’empire, à ce finement suprême de 1810, où déjà, de toutes parts se décelaient les excès de génie, à ce sommet vertigineux d’où la fortune napoléonienne allait se précipiter au milieu des foudres et des éclairs. M. Thiers, dans la maturité de la vie, abordait cette phase dramatique du plus surprenant des règnes, et comme si, en reprenant sa tâche, il avait senti le besoin de rassembler et de fixer ses idées, il ajoutait à ses nouveaux récits une préface où il parlait avec une dignité simple de lui-même, avec une libre impartialité de l’empire et de l’empereur, avec une vivacité séduisante de ce grand art de l’histoire dont il se faisait une puissance et un dédommagement dans ses loisirs forcés d’homme d’état.

Ces pages rapides, animées, étaient d’un esprit qui avait la passion de son œuvre. M. Thiers s’y dessinait tout entier dans son originalité simple et vive, avec sa curiosité, sa raison, son, goût de la lumière et de la vérité, avec sa manière de comprendre et d’interpréter l’histoire. Pour lui, la première des qualités de l’histoire, celle « qui amène bientôt à sa suite toutes les autres, » c’était « l’intelligence, : » c’est-à-dire le don de voir distinctement les faits, de démêler le vrai du faux, de saisir le caractère des événemens et des personnages, de comprendre et de faire comprendre ; comment marchent toutes ces choses, la diplomatie, la guerre, l’administration, comment se meuvent les secrets ressorts d’un état ou d’une société. Par une suite naturelle de cette idée première, la qualité souveraine dus style historique, à ses yeux c’était la clarté, et, chemin faisant, il trouvait cette comparaison ingénieuse du langage de l’histoire avec une de ces « glaces sans tain, » merveilles de l’industrie moderne, dont la transparence est telle qu’elles laissent tout voir et qu’on ne les voit pas. Cette « glace sans tain » n’était peut-être qu’une brillante image ; la théorie sur le rôle prépondérant de cette faculté unique ou universelle que l’historien du Consulat, et de l’Empire appelait « l’intelligence, » pouvait sembler spécieuse et peu précise. A vrai dire, en traçant cette « poétique » et les conditions de l’histoire, M. Thiers puisait surtout en lui-même, dans ses goûts, dans sa nature et les habitudes de son esprit. Il traduisait en système ce qui était chez lui un don personnel, un art spontané et original. Cet art de tout voir et de tout reproduire avec une merveilleuse lucidité, il le pratiquait en maître. M. Thiers faisait de l’histoire à sa manière, dégageant d’un amas de documens et de témoignage scrupuleusement étudiés la vérité la plus simple, conduisant, selon une expression piquante, cent mille faits comme un général expérimenté conduit cent mille hommes, alliant à une inépuisable abondance une vivacité toujours nouvelle, à la science technique la passion qui animait les détails les plus arides. D’une