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et il n’a jamais perdu de vue que l’état n’a pas plus le droit de prendre aux citoyens leur temps que leur argent.

C’est dans le mode de préparation et de règlement des budgets que les défauts de l’organisation française se révèlent avec le plus d’évidence et produisent leurs conséquences les plus fâcheuses. Le budget de 1883 sera soumis aux chambres dès le commencement de 1882, et, avec les habitudes contractées par les commissions parlementaires, il y aurait inconvénient à différer cette présentation : tous les ministères sont donc occupés depuis plusieurs mois à faire les calculs et à réunir les renseignemens que le ministre des finances devra faire entrer dans son travail d’ensemble. Le budget se prépare ainsi au moins dix-huit mois à l’avance : une préparation aussi prématurée exclut l’exactitude dans les prévisions budgétaires et ne permet de compter que sur des à-peu-près. Comment prévoir, en 1881, qu’en 1882 le printemps sera trop humide ou l’été trop sec ? Cependant, ces circonstances climatologiques, en renchérissant les fourrages ou en élevant le prix de la ration, peuvent entraîner en 1883 une différence de plusieurs millions dans les dépenses du ministère de la guerre. Il arrive donc fréquemment qu’au moment où un budget est voté, les calculs d’après lesquels il a été établi ont cessé d’être exacts et que les crédits qu’il accorde ne sont plus suffisans. Il en résulte que, dès les premiers jours d’un exercice, on peut être contraint de recourir à l’ouverture de crédits supplémentaires ou extraordinaires, et il est à peine besoin de faire observer que l’emploi de plus en plus fréquent de ces crédits a pour conséquence de détruire toute l’économie de nos budgets et de condamner les finances françaises à un perpétuel provisoire.

La durée trop longue de l’exercice financier n’engendre pas moins d’inconvéniens que la préparation prématurée du budget. Les crédits votés pour une année demeurent à la disposition des ministres jusqu’au mois de juillet de l’année suivante. Cette latitude a été jugée nécessaire dans l’intérêt de nos possessions d’outre-mer avec lesquelles les communications n’étaient ni promptes, ni faciles ; mais la vapeur et le télégraphe permettraient de renoncer aujourd’hui à une faculté dangereuse. Les ministères attendent jusqu’au dernier moment pour épuiser leurs crédits : il faut ensuite réunir les pièces comptables, qui arrivent tardivement ; la seconde année est écoulée avant que la cour des comptes soit saisie et puisse commencer ses vérifications. Même en temps ordinaire, ce n’est guère qu’au bout de quatre ans qu’on peut connaître avec certitude quel a été le chiffre exact des dépenses effectuées dans une année et savoir si l’excédent de recettes prévu au moment où le budget de cette année a été voté n’a pas été transformé par