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surnaturel. C’est par les sciences historiques qu’on peut établir (et, selon moi, d’une manière péremptoire) que ce fait n’a pas été surnaturel et que, même, il n’y a jamais eu de fait surnaturel. Ce n’est point par un raisonnement a priori que nous repoussons le miracle ; c’est par un raisonnement critique ou historique. Nous prouvons sans peine qu’il n’arrive pas de miracles au XIXe siècle et que les récits d’événemens miraculeux censés avoir eu lieu de nos jours reposent sur l’imposture ou la crédulité. Mais les témoignages qui établissent les prétendus miracles du XVIIIe, du XVIIe du XVIe siècles, ou bien ceux du moyen âge, sont plus faibles encore, et on en peut dire autant des.siècles antérieurs ; car plus on s’éloigne, plus la preuve d’un fait surnaturel devient difficile à fournir. Pour bien comprendre cela, il faut avoir l’habitude de la critique des textes et de la méthode historique ; or voilà ce que les mathématiques ne donnent en aucune façon. N’a-t-on pas vu, de nos jours, un mathématicien éminent tomber dans des illusions que la familiarité la plus élémentaire avec les sciences historiques lui aurait appris à éviter ?

La foi vive de M. Pinault le porta vers le sacerdoce. Il fit peu de théologie ; on se contenta pour lui d’un minimum, et on l’appliqua tout d’abord aux cours de sciences, qui, dans le cadre des études ecclésiastiques, sont l’accompagnement nécessaire des deux années de philosophie. A Saint-Sulpice de Paris, avec sa nullité théologique et son ardente imagination mystique, il eût paru étrange. Mais à Issy, en contact avec de tout jeunes gens qui n’avaient pas étudié les textes, il acquit bien vite une influence considérable. Il fut le chef de ceux qu’entraînait une ardente piété, des « mystiques, » comme on les appelait. Il était leur directeur à tous ; cela faisait une coterie à part, une sorte d’école d’où les profanes étaient exclus et qui avait ses hauts secrets. Un auxiliaire très puissant de ce parti était le concierge de la maison, celui qu’on appelait le père Hanique. J’étonne toujours les réalistes quand je leur dis que j’ai vu de mes yeux un type que leur connaissance insuffisante du monde humain ne leur a pas permis de trouver sur leur chemin, je veux dire le portier sublime, arrivé aux degrés les plus transcendans de la spéculation. Dans sa pauvre loge de concierge, Hanique avait presque autant d’importance que M. Pinault. Ceux qui visaient à la sainteté le consultaient, l’admiraient. On opposait sa simplicité à la froideur d’âme des savans ; on le citait comme un exemple de la gratuité absolue des dons de Dieu.

Tout cela constituait une division profonde dans la maison. Les mystiques vivaient dans un état de tension si extraordinaire que quelques-uns d’entre eux moururent. Cela ne fit qu’augmenter