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n’avait subi de changement, le XVIIe siècle eut un point dans Paris où il se continua sans la moindre modification.

Saint-Sulpice fut, au milieu d’une société si différente, ce qu’il avait toujours été, modéré, respectueux pour le pouvoir civil, désintéressé des luttes politiques[1]. En règle avec la loi, grâce aux sages mesures prises par M. Émery, il ne sut rien de ce qui se passait dans le monde. Après 1830, l’émotion fut un moment assez vive. L’écho des discussions passionnées du temps franchissait parfois les murs de la maison ; les discours de M. Mauguin (je ne sais pas bien pourquoi) avaient surtout le privilège d’émouvoir les jeunes. Un jour, l’un de ceux-ci lut au supérieur, M. Du-claux, un fragment de séance qui lui parut d’une violence effrayante. Le vieux prêtre, à demi plongé dans le nirvana, avait à peine écouté. À la fin, se réveillant et serrant la main du jeune homme : « On voit bien, mon ami, lui dit-il, que ces hommes-là ne font pas oraison. » Le mot m’est dernièrement revenu à l’esprit à propos de certains discours. Que de choses expliquées par ce fait que probablement M. Clemenceau ne fait pas oraison !

Ces vieux sages consommés ne s’émouvaient de rien. Le monde était pour eux un orgue de Barbarie qui se répète. Un jour on entendit quelque bruit sur la place Saint-Sulpice : « Allons à la chapelle mourir tous ensemble, » s’écria l’excellent M*, prompt à s’enflammer. — « Je n’en vois pas la nécessité, » répondit M***, plus calme, plus prémuni contre les excès de zèle, et l’on continua de se promener de long en large sous les porches de la cour.

Dans les difficultés religieuses du temps, ces messieurs de Saint-Sulpice gardèrent la même attitude sage et neutre, ne montrant un peu de chaleur que quand l’autorité épiscopale était menacée. Ils reconnurent très vite le venin de M. de Lamennais et le repoussèrent. Le romantisme théologique de Lacordaire et de Montalembert les trouva aussi peu sympathiques. L’ignorance dogmatique et l’extrême faiblesse de cette école en fait de raisonnement les choquaient. Ils virent toujours le danger du journalisme catholique. L’ultramontanisme ne parut d’abord à ces maîtres austères qu’une façon commode d’en appeler à une autorité éloignée, souvent mal informée, d’une autorité rapprochée et plus difficile à tromper. Les anciens qui avaient fait leurs études à la Sorbonne avant la révolution tenaient hautement pour les quatre propositions de 1682. « Monsieur Bossuet, » comme ils disaient, était en tout leur oracle. Un des directeurs les plus respectés, M. Boyer, dans son voyage de Rome, disputa avec Grégoire XVI sur les propositions gallicanes. Il

  1. Mes souvenirs se rapportent aux années 1842-1845. Je pense que depuis rien n’a changé.