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la dominer ; on lui reprochait d’interpréter avec des idées trop exclusives la constitution de 1876, qui est la loi politique de l’Espagne, d’être un gouvernement de combat et de ramener ainsi par degrés le pays à une de ces situations sans issue où les partis exaspérés se laissent aller aux tentations violentes. Le nouveau ministère s’est formé avec l’ambition de représenter une politique plus libérale, de réconcilier autant que possible les partis hostiles, sans cesser d’être très monarchique, de rester fidèle à la constitution de 1876. Par sa composition même, il était comme l’expression vivante de cette idée de fusion toute constitutionnelle, puisqu’il réunissait à côté de M. Sagasta, qui a été ministre sous le roi Amédée, sous la régence du général Serrano, des conservateurs comme le général Martinez Campos, qui a été un des promoteurs de la restauration, qui ne s’est séparé de M. Canovas del Castillo que sur les affaires de Cuba. Assurément, ce ministère, qui a déjà près d’un an d’existence, n’a point échappé à son tour au reproche d’arbitraire qu’ont essuyé plus d’une fois ses prédécesseurs. Il a été accusé, lui aussi, d’avoir abusé de tous les moyens de gouvernement dans les élections dernières, qui lui ont donné une majorité, qui ont paru ratifier ses idées. Il a même fait une chose plus grave : il s’est attribué sans façon une espèce de dictature en continuant depuis le mois de juillet à percevoir les impôts, à disposer des forces de terre et de mer sans autorisation législative, sans avoir un budget légalement voté. Au fond pourtant, on peut dire qu’il n’a point échoué dans ce qu’il considère comme la partie essentielle de sa politique. Par la liberté qu’il a laissée à toutes les opinions, par ses concessions, par des complaisances, si l’on veut, il a réussi jusqu’à un certain point à amortir les hostilités violentes, à créer des conditions assez nouvelles et surtout à jeter la désorganisation dans les partis extrêmes, pour le moment assez déconcertés. Cette désorganisation croissante, elle est depuis quelques mois un fait sensible dans la situation de l’Espagne. Elle s’était manifestée dans les élections dernières. Elle vient d’être mise plus vivement encore en lumière dans la récente discussion de l’adresse à laquelle se sont livrées les cortès, dans un débat parlementaire aussi brillant qu’instructif, auquel ont pris part tout ce que l’Espagne compte d’orateurs éloquens et de chefs de partis, M. Sagasta, M. Canovas del Castillo, M. Pidal, M. Castelar, M. Martos, M. Moret. On a agité toutes ces questions, depuis celle des rapports de l’Espagne avec la France au sujet des événemens d’Oran jusqu’à celle des rapports avec l’Italie au sujet des troubles de Rome le jour de la translation des cendres de Pie IX au mois de juillet, et en définitive le point essentiel, intéressant, est l’état des partis extrêmes, plus ou moins désorganisés en face de la politique ministérielle.

Le fait est que cet état est singulier, qu’il y a de plus en plus au-delà des Pyrénées une confusion et un déplacement des opinions