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douteux ; elle est passée par les comités, elle a été relevée par un homme puissant dans l’embarras., qui y a trouvé un expédient électoral : c’est toute l’histoire, et ce qu’on dit pour expliquer, pour justifier la révision est précisément ce qui la rend plus suspecte. Quelle est en effet la grande, l’unique raison de cette révision ? C’est que le sénat s’est permis quelques votes indépendans. Il a voté contre le scrutin de liste, il a introduit quelques atténuations dans la loi sur l’enseignement laïque. C’est le grand crime ! Mais alors, si le sénat n’a pas le droit de voter dans sa liberté sans être menacé, pourquoi deux chambres ? Les radicaux sont plus sincères ou plus logiques lorsqu’ils disent : Si le sénat n’accepte pas tout ce que fait l’autre chambre, il est un obstacle : s’il se borne à approuver, à enregistrer, il est inutile. Au fond, dans cette importune affaire de la révision, il y a une question plus grave : c’est toujours la lutte entre les deux républiques, — la république libérale, tolérante, stable, et la république courant à l’anarchie par imprévoyance, par l’esprit de mobilité, par le fanatisme de l’absolu. M. Edmond Scherer se sert d’autres termes : « Il s’agit de savoir si la république de 1875 restera habitable ou deviendra une bousingotière. » Le mot est dur, il n’est pas moins vrai, et c’est ainsi que, par l’inconséquence de ses choix, comme par ses complaisances pour les agitation, le nouveau président du conseil se crée une situation difficile, qui n’a certes pas dans tous les cas la grandeur dont il se flattait.

Après cela, nous n’en disconvenons pas, M. Gambetta est un politique de ressource qui, au besoin, peut se contredire avec avantage, et, en même temps qu’il se laisse aller à bien des choix singuliers, il place au ministère de la guerre un homme d’énergie, M. le général Campenon, qui paraît ne pas craindre la responsabilité. Du premier coup, le nouveau ministre de la guerre a ramené à l’état-major-général un des officiers les plus distingués de l’armée, M. de Miribel ; il vient de reconstituer le conseil supérieur de la guerre et dans ce conseil il n’a point hésité à placer des hommes comme M. le maréchal Canrobert, M. le général Chanzy, avec le général Gresley, le général de Galliffet et le général de Miribel lui-même. Ces premiers actes, quelques autres encore, sont certainement le signe d’un esprit ferme et indiqueraient l’intention de revenir à de meilleures traditions militaires, de réparer le mal causé par l’administration de M. le général Farre. Tout cela serait au mieux ; mais, qu’on ne s’y trompe pas, tout ce qu’on tentera pour remettre de l’ordre dans l’armée, pour raffermir notre état militaire, est nécessairement subordonné à la politique, et M. Gambetta n’aurait rien fait si, en laissant quelque liberté à nos généraux, il prétend d’un autre côté se livrer à toutes ses fantaisies. C’est à M. le président du conseil de se dégager, s’il le peut, de ces contradictions qui ne lui ont pas porté bonheur, qui lui ont attiré les démissions de notre ambassadeur à Berlin, M. de Saint-Vallier, de notre ambassadeur à