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n’ont pas l’expérience nécessaire, ce n’est pas le temps qui leur a manqué pour mûrir. Qu’ils soient jeunes ou vieux, peu importe. Si le cabinet du 14 novembre a été un objet d’étonnement et si, pour son début, il a fait une si triste figure devant le public comme devant le parlement, c’est pour d’autres raisons. On aurait beau s’en défendre, l’impression universelle est que la pensée supérieure a manqué au moment décisif ; la confusion et la médiocrité sont restées dans l’œuvre, dans la politique comme dans le choix du personnel, et ce qu’il y a de plus grave peut-être, c’est que M. le président du conseil n’a pas paru se douter de ce qu’il faisait d’extraordinaire en composant son cabinet avec ce sans-façon d’omnipotent. Disons le mot : les derniers incidens ont montré une fois de plus, et d’une manière dangereusement significative, que M. Gambetta, avec sa fougue d’orateur et ses habiletés de tacticien, manque du don le plus essentiel pour un chef politique, de ce don qui s’appelle le discernement. Il peut trouver à l’occasion des mots d’ordre retentissans, il n’a sûrement pas l’esprit de conduite, le jugement et la mesure dans la direction des affaires. Il a le goût de l’influence et de la domination, il n’a certes pas l’art de choisir les hommes pour les fonctions, ou plutôt pour lui tous les hommes se ressemblent et sont bons à tout dès qu’ils sont ses amis. Il les place indifféremment dans un ministère ou dans une ambassade. Cela lui est égal. S’il réussit parfois dans ses choix, et cela peut bien lui arriver, c’est fort heureux : il aurait pu choisir autrement sans y attacher plus d’importance. M. Gambetta ne s’est pas dit assez que, puisqu’il avait le très grand honneur d’être appelé au gouvernement de la France, il devait au pays, il se devait à lui-même d’élever ses pensées à la hauteur de cette mission supérieure, de ne pas se donner l’air de réduire le gouvernement à une affaire de camaraderie ou de coterie. Il ne s’est pas dit qu’il y avait des traditions à respecter, des convenances à observer, que tout le monde, après tout, n’était pas propre à être ministre, que c’était même, si l’on veut, une condition de succès de mettre un certain tact dans la distribution des plus hauts emplois de l’état.

M. le président du conseil s’est sûrement exposé à plus d’une mésaventure ou à plus d’une difficulté, faute de ce discernement nécessaire et de la plus simple prévoyance. Avec un peu plus de réflexion ou un peu moins de facilité, il se serait peut-être dispensé de placer au ministère de la marine un homme qui s’est conduit certainement en brave officier dans la campagne du Mans, mais que sa qualité d’ancien capitaine de vaisseau devenu conseiller d’état ne désignait pas suffisamment à la direction supérieure de la flotte. Le ministre de la marine du choix de M. Gambetta n’y met pas de diplomatie, il entre dans son rôle en conquérant. Du premier coup, il rassemble les amiraux, les officiers-généraux, ses anciens chefs, pour leur signifier qu’ils lui doivent « l’obéissance. » Il leur dit tout simplement : « Ne vous