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assez, mal, c’est que naguère, n’en doutez pas, il a vu Miss Multon, Il se rappelle comment, vers la fin de la pièce, quand l’héroïne repentante, Mme de Latour, cachée sous le nom de miss Multon, réclame au foyer de famille sa place occupée par une autre, son mari intervient et s’écrie : « Vous désirez que vos enfans vous appellent du nom de mère, à merveille ! Nous les avons élevés dans le respect, profond de cette mère qu’ils vont retrouver et qu’ils ne connaissent pas. Avant de la leur rendre, il faudra, leur expliquer pourquoi ils l’avaient perdue… Vous en sentez-vous le courage ? Alors, faites : les voici ! » Et comment ne pas se souvenir du sacrifice humilié de cette mère qui s’incline et dit à ses enfans un éternel adieu : « Non pas éternel, reprend le père : chaque année, mes enfans, on vous conduira en Angleterre auprès de miss Multon, afin que vous acheviez d’apprendre l’anglais. » L’idée est délicate, ingénieuse et touchante ; puisqu’une fois elle avait plu au public, elle pouvait bien lui plaire encore, et je comprends que M. Sardou en ait voulu tirer profit. Mlle Pierson devait jouer cette scène, elle la joue en effet avec un art qui supplée à la sensibilité naturelle ; Mlle Legault y trouverait l’emploi de son enfantillage larmoyant ; et M. Dupuis, témoin de l’entrevue, réduit au rôle de personnage muet, le remplirait, ce rôle, avec les ressources de sa mimique la plus sobre et la plus variée.

De vrai, aucun mécompte n’a troublé ces calculs : entre onze heures et minuit, chaque soir, on pleure au Vaudeville presque autant qu’à l’Ambigu : or, si j’en, crois le poète ; « une larme coule, et ne se trompe pas. » Mais le poète a dit aussi : « Vive le mélodrame où Margot a pleuré ! » J’imagine qu’il m’est permis de regretter que l’exécution de cette dernière scène soit justement d’un mélodrame. Tous ces détails, j’en demeure d’accord, sont disposés avec adresse et par la main d’un artiste qui travaille finement dans ce genre ; mais tous, à l’examen, sont d’une banalité courante, et de ceux qu’on trouvera d’abord si l’on doit improviser sur un pareil thème une charade sentimentale. « Papa m’a dit, madame, que vous étiez des amies de maman. — Dès l’enfance. — Que je vous envie ! .. Vous l’avez connue mariée ? — Mariée ! .. oui. — Est-ce que vous étiez là quand elle est morte ? — Non, mon enfant… — Mais vous étiez à son mariage ? — J’y étais… » Tout ce quiproquo pathétique n’a pas dû fatiguer beaucoup l’imagination psychologique de l’auteur ; et ce n’est pas non plus d’un arrière-magasin bien secret qu’il a tiré les accessoires sur lesquels il nous invite à pleurer. C’est d’abord le petit bonnet que la mère de Bérengère avait brodé pour elle, et, naturellement, le crochet qu’elle commençait quand elle est morte ; le carnet de bal ne manque pas, ni la miniature, ni le médaillon à secret qu’Odette ouvre à Bérengère, et dont elle tire en tremblant… quoi ? deux mêches de cheveux, — des cheveux de l’enfant et