de la femme, ils concluent sans autre enquête à l’irrémédiable extinction de cette voix. Ces docteurs sans miséricorde soutiennent que Mme de Clermont-Latour, après quinze années de vice, n’est plus mère et qu’elle doit se soucier de sa fille comme de son premier amant ; que M. Sardou, pour respecter la vraisemblance et la morale, était tenu de lui faire signer la vente opportune de son nom, c’est-à-dire du dernier vestige et de la dernière espérance de cette maternité perdue qu’elle ne doit pas retrouver. Au contraire, la plupart des spectateurs, nourris des traditions du mélodrame, auraient aimé qu’Odette, au premier bêlement de sa fille, se sentît des entrailles de brebis nourrice ; de tout ce qui précède, ils ne retiennent qu’une chose, c’est que la morphine donne à cette femme l’hallucination de l’amour maternel ; ils ne comprennent pas qu’à jeun le nom seul de son enfant ne lui produise pas le même effet ; ils n’admettent pas qu’une mère ne se retrouve pas mère à toute heure et même sans apprêt ; pour eux, Odette doit se sacrifier, au premier signe, dès que le bonheur de Bérengère est en jeu. Ce gros de bonnes gens n’est pas plus raisonnable que cette élite de raffinés. Ces contraires mouvemens de l’âme, ces vicissitudes de sentimens, ces retours de passion marquent justement une exacte et sincère imitation de la vie. M. Sardou, ici, quoi qu’en disent les uns, n’a pas flatté la nature ; quoi que prétendent les autres, il ne l’a pas calomniée. Il a montré deux états successifs également nécessaires ; il a trouvé avec une subtilité singulière un passage vraisemblable du premier au second ; il a fait voir des nuances de l’âme plus rares qu’on n’osait l’espérer. Sans doute il est regrettable que d’autres scènes d’analyse n’aient pas préparé le public à l’intelligence de celle-là. Que de précautions ne faut-il pas pour introduire à la scène un peu de vérité morale ! Sans doute aussi M. Sardou n’a pas de ce genre l’expérience qu’il a d’un genre moins noble ; il lui manque en ces matières l’aisance et la sûreté que donnait aux classiques une forte discipline philosophique et religieuse. Par ces raisons, il semble à la fois que le caractère de l’héroïne soit trop complexe et que les diverses teintes n’en soient pas assez fondues ; une demi-obscurité se répand sur l’œuvre, où le public se heurte à des angles qui le blessent. Mais ces critiques mêmes témoignent du courageux effort qu’a fait l’auteur. Prenons cette scène telle quelle ; je n’en sais aucune dans son répertoire, j’en sais peu, à vrai dire, dans tout le théâtre contemporain, où se trouve enfermée une plus grande somme de psychologie : c’est assez pour qu’on la retienne, à l’honneur de M. Sardou, comme gage d’œuvres prochaines, plus complètes selon le même esprit, qu’il n’a pas le droit à présent de ne pas nous donner.
Si le comte de Clermont-Latour a jeté à sa femme, pour terminer cette scène et amener la suivante, un défi que d’abord on s’explique