Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/700

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas distrait des caractères par le souci de l’invention, — j’entends de cette invention qui se borne à la matière du drame : invention des événement des situations, de l’intrigue. M. Sardou a supposé une femme, comme la Fiammina ou Mme Caverlet, dont l’indignité fit obstacle au bonheur de son enfant ; il a voulu que, tombée jusqu’au tripot d’où sort Fernande, et sur le point de revendiquer sa fille comme Héloïse Paranquet, elle fût touchée comme miss Multon par les ménagemens pieux dont l’époux outragé avait honoré sa mémoire et qu’elle se retirât pour ne pas démentir la légende proposée au respect de l’enfant ; qu’elle se retirât, non pas à l’étranger comme miss Multon, ni dans un couvent comme la Fiammina, mais, comme tant d’autres héroïnes, jusque dans la mort. Ainsi de tous ces souvenirs s’est formé un sujet qu’on ne peut souhaiter plus simple : un homme surprend sa femme en flagrant délit d’adultère ; il la chasse et garde avec lui son enfant, une fille ; quinze ans après, il veut marier cette fille ; la famille du fiancé exige que la mère indigne quitte d’abord le nom qu’elle a sali ; le père revoit cette femme et lui demande ce sacrifice, elle refuse ; la fille paraît, et son charme obtient ce que n’ont obtenu ni les prières ni les menaces. La misérable fait pis et plus que ce qu’on lui demandait : sans s’être fait connaître à sa fille, elle se tue. L’enfant sera l’heureuse bru d’une belle-mère qui s’est réjouie honnêtement du suicide de sa mère : tout est bien qui finit mal.

Voilà dans sa clarté le sujet d’Odette. Pour faire plus court encore, on peut le résumer en une ligne : une femme adultère s’immole au bonheur de sa fille. Maintenant si vous cherchez à quelle occasion toutes ces réminiscences se sont cristallisées selon cette forme dans l’esprit de M. Sardou, vous trouverez que, parmi les griefs contre le mariage indissoluble qu’a mis en mouvement le débat sur le divorce, un surtout a frappé M. Sardou, — et il devait le frapper, celui-là, plus qu’un argument tiré de l’intérêt matériel ou du sentiment pur, car il est d’une valeur proprement théâtrale et repose sur des préjugés éminemment scéniques ; — nous l’appellerons, si vous voulez, l’argument du nom. Séparés de corps et de biens, les époux ne sont pas « séparée de nom ; » ce nom que la femme a sali, la loi continue à la femme le droit de le salir encore ; elle lui donne même pour le souiller une liberté nouvelle dont elle la condamne presque à faire usage. C’est ainsi de par la loi, et assurément de sages esprits peuvent trouver cela mauvais ; M. Sardou le peut comme un autre, bien qu’il ait, l’an dernier, fait voir en badinant la vanité du divorce, il juge peut-être que le mieux serait de dissoudre absolument le mariage sans permettre aux époux disjoints de courir à de nouvelles chances de malheur légitime : à ce compte-là, Odette ne contredit pas Divorçons. Peut-être aussi n’a-t-il pas d’opinion décisive sur la matière ; peut-être enfin, et j’inclinerais à le croire, en a-t-il, plusieurs : c’est le droit de l’auteur