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le parlement germanique, il en est un qu’on méprisait autrefois, qu’on courtise aujourd’hui. C’est le groupe des étrangers, des Allemands malgré eux, de tous ceux pour qui l’Allemagne est une maison de correction où on les retient à leur corps défendant ; il se compose de deux Danois, de dix-huit Polonais et de quinze Alsaciens-Lorrains protestataires. Dans l’élection présidentielle, ce groupe a fait cause commune avec les catholiques, à qui il avait des obligations, et c’est grâce à ses complaisances que les trois candidats du centre et des conservateurs ont passé. Le premier acte du nouveau président, M. de Levetzow, fut d’inviter l’assemblée à se lever tout entière pour rendre hommage au maréchal de Moltke, qui l’avait précédé au fauteuil par droit d’âge. Les Alsaciens protestataires s’empressèrent aussitôt de quitter la salle des séances ; ils ne se souciaient pas d’acclamer l’épée et la conquête. Le parti des étrangers n’a pris aucun engagement, on ne peut compter sur lui. Alsaciens et Polonais ont si peu de goût pour le climat de Berlin, pour l’air qu’on y respire, qu’ils n’y font guère de séjour ; ils se hâtent de retourner à leurs affaires, laissant derrière eux deux ou trois vedettes, chargées d’observer les astres, de veiller au grain, de prendre le vent et de les convoquer pour les grandes occasions. Athènes était gouvernée par Thémistocle, Thémistocle par sa femme, sa femme par son enfant. Si les desseins et les succès du chancelier dépendent aujourd’hui de M. Windthorst, il n’est pas impossible que, de son côté, M. Windthorst se trouve quelque jour à la merci d’une vedette alsacienne, et telle occurrence pourrait se présenter où les destinées de l’empire seraient décidées par les ennemis de l’empire, par l’Allemand malgré lui. C’est ce qui fait croire à beaucoup de gens que M. de Bismarck, en dépit de ses dénégations, prendra tôt ou tard le parti de dissoudre le Reichstag et d’affronter les hasards d’un nouveau scrutin.

« Nos dernières élections, nous disait un Allemand, n’ont fait le bonheur de personne. Notre parlement est composé de telle sorte que toutes les combinaisons y sont à la fois possibles et impossibles et que la plus possible n’est pas encore suffisante. Comment sortirons-nous de cette impasse ? Personne ne le sait, pas même Thyra. » — Quoi qu’il advienne, d’un bout de l’Europe à l’autre, les empereurs, les rois et les républiques suivront d’un œil attentif les péripéties de cette pièce, le débrouillement de cet imbroglio, car c’est la gloire de M. de Bismarck que désormais rien de ce qui se passe en Allemagne ne peut laisser l’Europe indifférente.


G. VALBERT.