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il fait profession de vouloir beaucoup de bien aux mains calleuses aux pieds poudreux ou crottés, au prolétaire, à tous les déshérités de la fortune, et depuis quelques années il s’est voué tout entier à ce qu’on appelle en Allemagne « die Politik des armen Manus, la politique du pauvre homme. »

M. de Bismarck estime avec raison que les mesures de police et le petit état de siège ne suffisent pas pour tenir en échec la propagande socialiste, qu’il faut encore s’occuper de diminuer les souffrances du pauvre. Sur ce point, en Allemagne comme ailleurs, tout le monde est de son avis ; mais, si l’on convient du principe, on ne s’accorde pas sur l’application. Il a commencé par présenter un projet de loi destiné à soumettre tous les ouvriers des fabriques au régime de l’assurance obligatoire contre les accidens ; le Reichstag avait introduit dans ce projet des amendemens qu’il a déclarés inacceptables. Il entend que l’état soit l’assureur, que l’état soit le détenteur et le gérant de la caisse qu’au surplus, l’ouvrier dont le salaire ne dépasse pas 750 marks soit déchargé de tous frais, que les deux tiers de sa prime soient acquittés par son patron et l’autre tiers par le trésor de l’empire. Il se propose aussi de prendre sous sa tutelle tous les invalides du travail, de concentrer dans ses mains les caisses d’assurance contre la maladie, de créer des retraites pour les artisans âgés ou infirmes, de fonder des sociétés coopératives contrôlées et soutenues par l’état. Jusqu’ici il ne s’est occupé que des ouvriers des villes ; avant peu, sans doute, il fera leur part à ces ouvriers des campagnes, qui portent le poids du jour. Son socialisme autoritaire et bureaucratique a des promesses pour tous les malheurs et répandra partout l’abondance de ses bienfaits. La maison est assez grande pour que tout le monde s’y loge.

Les dernières élections ont prouvé que le suffrage universel goûtait médiocrement les projets philanthropiques de M. de Bismarck, qu’ils lui étaient suspects. On aurait pu croire que les socialistes lui sauraient gré de ses intentions ; ils l’ont contristé par leur ingratitude. Au scrutin de ballottage du 12 novembre, dans deux circonscriptions de la ville de Berlin, les candidats des conservateurs, M. Wagner, l’un des confidens du chancelier, et M. Stocker, le prédicateur de la cour, le grand ennemi d’Israël et le plus aigre de tous les saints, ont offert à MM. Bebel et Liebknecht de conclure avec eux un traité d’alliance contre le parti du progrès. Ils leur proposaient de se désister en leur faveur, à la seule condition que les socialistes s’engageraient à reconnaître les bienveillantes dispositions du gouvernement à l’égard des ouvriers et à ne pas rejeter sans examen ses projets de retournes. MM. Bebel et Liebknecht ont décliné fièrement cette proposition et ce marché ; ils ont répondu qu’il n’y avait rien entre eux et un gouvernement qui prétend concilier les réformes sociales avec les droits de douanes sur les