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Le parti du progrès et les hommes distingués qui sont à sa tête, M. Virchow, le grand maître en pathologie, le germaniste M. Hänel, M. Schulze-Delitsch, mandataire des associations ouvrières, M. Träger, le poète, M. Eugène Richter, grand disséqueur de budgets, qu’on a surnommé le contre-ministre des finances, sont à proprement parler la bête noire de M. de Bismarck. Ces cols raides ne se prêtent à aucune transaction, ces mains rêches n’ont jamais rien à lui offrir. Jadis un petit prince de Reuss, qui portait au vent, commençait une de ses proclamations par ces mots : « Voilà vingt ans que je suis à cheval sur un principe. » Comme le prince Henri LXVII de Reuss-Lobenstein-Ebersdorf, les progressistes sont à cheval sur leurs principes, et M. de Bismarck a considéré dans tous les temps un principe qui le gênait comme le plus sot des empêchemens ou comme la plus lugubre des plaisanteries. Au surplus, le parti du progrès n’est pas ce qu’on appelle en Allemagne « une opposition en robe de chambre et en pantoufles. » C’est un petit corps d’armée, toujours cuirassé et casqué, le glaive au poing ou la lance en arrêt. Le chancelier prête à ces intrépides combattans les intentions les plus noires ; il les accuse de conspirer contre le trône, d’être des républicains mal déguisés. Il avait dit à la veille des dernières élections : « Je regarderai comme de précieux alliés tous ceux qui me prêteront main forte pour terrasser ce parti du progrès, qui, selon moi, met en péril et l’empereur et l’empire. »

Les élections ont trompé les espérances de M. de Bismarck ; elles ont été plus favorables aux hommes à principes qu’à ses amis. Le centre catholique a prouvé sa force une fois de plus ; il disposera de près de cent voix ; mais les libéraux-nationaux ont essuyé en maint endroit de fâcheuses défaites. Les conservateurs et le parti de l’empire ont été maltraités plus cruellement encore ; ils ont gagné seize sièges, ils en ont perdu quarante-six, et parmi les victimes du suffrage universel, il faut compter l’un des fils du chancelier, le comte Guillaume de Bismarck, le prince Clovis de Hohenlohe, ambassadeur d’Allemagne à Paris, le ministre de l’agriculture Lucius, ainsi que MM. de Varnbûhler, de Kardorff, le comte Stolberg, zélés défenseurs de la politique protectionniste, qui sont restés sur le carreau. En revanche, les progressistes et les libéraux avancés, qui font cause commune avec eux, n’ont perdu que douze sièges et ils en ont gagné cinquante. Les chefs du parti qui dit toujours non et qui s’en vante figureront tous dans le nouveau Reichstag, et leur armée s’est notablement accrue.

Les journalistes officieux s’en sont pris de leur déconvenue à la malice de leurs ennemis, à l’or juif, à la crédulité des peuples, à la savante organisation des partis avancés, à leurs promesses fallacieuses, à leurs calomnies impudentes. S’il est vrai, comme le disait un député,