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défensive, de se fortifier sur les hauteurs de sable qui dominent Tacna et d’y attendre l’attaque de l’armée chilienne. Camacho, au contraire, affirmait que l’on devait marcher à la rencontre des Chiliens, les rejoindre à la sortie du désert, profiter de la fatigue et de l’épuisement causés par plusieurs jours de marche dans un pays aride et désolé pour les obliger à livrer bataille avant d’avoir pu faire reposer les hommes et la cavalerie. La discussion s’envenimait ; l’arrivée au camp du président de la Bolivie vint rétablir l’ordre et l’unité d’action. Cédant aux instances de Camacho, son lieutenant et son ami, Campero, comprenant la gravité de la situation, avait brusquement quitté La Paz. Son arrivée fut saluée par les acclamations enthousiastes de l’armée. Elle avait toute confiance dans sa capacité militaire et dans son énergie. Don Campero la méritait. Ancien élève de l’École des mines, à Paris, il avait beaucoup étudié. La droiture et la noblesse de son caractère lui avaient fait de nombreux amis, et les officiers péruviens eux-mêmes, reconnaissant sa supériorité, s’estimaient heureux de l’avoir à leur tête.

L’armée chilienne avançait, surmontant lentement les obstacles que la nature, plus encore que l’ennemi, lui opposait. De Moquega à Tacna il n’existait pas de route tracée ; un désert de sables mouvans, accidenté de collines sablonneuses sans la moindre végétation, coupées par d’étroites vallées que traversent de rares cours d’eau débordant dans la saison des pluies, exhalant l’été des miasmes pestilentiels, séparait Moquega de Tacna. À cette époque de l’année, les fièvres intermittentes sévissaient dans cette région. Le transport de l’artillerie présentait des difficultés presque insurmontables. Sur ce sol mouvant les canons enfonçaient jusqu’au moyeu des roues. Il fallait tout amener, l’eau surtout, et l’armée chilienne en traînait avec elle une provision représentant une consommation de 40,000 litres par jour. La fatigue excessive, l’intense chaleur du jour, les froids subits de la nuit encombraient les ambulances de malades parmi lesquels les fièvres faisaient de nombreuses victimes. On les évacuait comme on pouvait sur les hôpitaux de Pisagua et d’Iquique. Sous l’énergique direction du général Baquenado, soutenu par la présence et l’autorité de don Raphaël Sotomayor, ministre de la guerre, qui depuis le début de la campagne présidait à toutes les opérations, l’armée poursuivait obstinément sa marche à travers le désert, les précipices et les fondrières, s’ouvrant un chemin dans le sable et mettant près d’un mois à franchir les 30 lieues qui la séparaient de Tacna. Pendant ce temps, la cavalerie chilienne, poussant d’activés reconnaissances, éclairait la route et refoulait devant elle les avant-postes alliés. Le 10 mai, l’armée chilienne débouchant enfin du désert se trouvait concentrée à Buenavista, à quelques